CULTURE. Véritable référence de l’art moderne et contemporain, le musée de Bilbao fait partie du cercle très privé des établissements « Guggenheim ». Ce nom, aussi réputé qu’il soit dans le monde de l’art, provient d’une famille très fortunée d’industriels américains, désireux de mettre leurs argent au profit de la promotion culturelle. A travers deux organisations créées par leurs soins, quatre musées à leur nom verront le jour dans les vingts dernières années : dans leur pays tout d’abord, à New York, puis à l’international, à Berlin, Venise et enfin Bilbao.
Créé sous l’initiative de la province de Biscaye dont Bilbao est la capitale, le Musée Guggenheim s’inscrit dans un large plan de relance économique de la région. A cette époque, le projet nommé Bilbao Ria 2000 regroupait de multiples investissements censés relever l’économie de la ville touchée par la difficile reconversion de l’industrie lourde. Entre l’extension de l’aéroport et le développement des autoroutes de la région, le musée Guggenheim – se voulant n’être qu’une étape du plan parmi tant d’autre – ouvra ses porte le 17 octobre 1997.
Très vite, le Guggenheim Bilbao Museoa justifia ses 100 millions d’euro d’investissement. Dans une ville encore en rénovation, le musée orné de son architecture observable nulle part ailleurs dans le monde, est devenu la grande vitrine culturelle de la région. La structure, construite à l’entrée de la ville face au fleuve Nevrion, se laisse contempler par des milliers d’individus chaque jours.
En 2014, dix millions de passionnés et autres curieux s’aventurèrent à l’intérieur de ce temple d’art moderne et contemporain. Cet été, WorldZine a visité le musée Guggenheim de Bilbao. Compte rendu.
Une architecture stupéfiante
Que l’on arrive du centre ville, ou que l’on se promène en longeant le fleuve, l’impression est la même. Au fur et à mesure de notre avancée sur les allées piétonnière menant au musée, apparaît une immense structure d’acier, se dressant derrière les quelques arbres et palmiers fleurissant la ville.
Très vite, le visiteur se retrouve face à cette imposante architecture qui fait de ce musée sa renommée mondiale. A la fois incompréhensible et totalement novateur, la structure laisse sans voix. Avant même de pénétrer dans l’enceinte du musée, des centaines d’appareils photos sont déjà sortis, mitraillant de chaque côté cette impressionnante œuvre architecturale.
Le créateur de cette grande construction se nomme Frank Gehry. Connu pour ses œuvre aux aspects originaux et « venu d’un autre monde », il est considéré comme l’un des architectes les plus importants de la profession. Des nouvelles formes, de nouveaux matériaux, et une sensibilité particulière pour son environnement, sont les maîtres mot de l’architecte.
Dans cette structure, le paysage urbain et fluvial est d’autant plus difficile à faire coexister. La place, où se situe l’entrée du musée, fait face à la ville et sa rue Iparragirre, traversant tout Bilbao pour se finir stratégiquement aux portes du musée. De l’autre côté se trouve la côte de la ria de Nervion, où les promeneurs sont habilement incités, au moyen d’un large escalier pensé par l’architecte, à se diriger vers la place principale du musée.
Le pont, situé à proximité du bâtiment, passe lui au-dessus de l’un des cotés du musée. Discrètement, ce banal édifice urbain s’intègre à l’architecture du musée, traduisant l’énorme réflexion sur l’environnement réalisée par l’artiste architecte Frank Gehry. Chaque forme, aussi folle qu’elle apparaît à l’extérieur, est justifiée par son intérieur. Sur le dessus, une composition florale, toute en titane vêtue, apporte la touche artistique d’exception.
Que ce soit d’été ou d’hiver, la météo espagnole vient se refléter dans les grandes surfaces métalliques faisant office de revêtement. Éblouissant, mais aussi impressionnant. Même s’il ne dépasse pourtant pas les immeubles voisinant en hauteur, ce monument à l’architecture déstructurée et imposante détonne par son originalité. Conçu pour en faire le tour complet à pied, il est ainsi devenu une œuvre d’art à lui seul, poussant le public dans un intérieur bluffant et original.
L’Atrium, cœur du musée
Lorsque le moment est enfin venu de pénétrer dans cette immense enceinte, nos cœurs s’accélèrent. La file d’attente, toujours très longue pour ce genre de musée, apparaît sans fin tant l’envie de découvrir l’intérieur de cette magnifique œuvre architecturale est pressante.
Après avoir passé l’accueil, la foule se disperse tout naturellement dans une énorme salle, un hall « cinq étoiles » poétiquement nommé l’Atrium.
Cet Atrium possède de multiples chemins : le visiteur peut prendre les escaliers afin de se rendre au premier étage, ou bien choisir l’un des bras menant aux premières expositions. Pourtant impatient de découvrir les œuvres exposées, il reste impossible pour nous, spectateur, de ne pas s’attarder quelques minutes afin d’observer le relief magnifiquement courbé de cette salle.
Véritable connexion entre l’extérieur et l’intérieur de l’édifice, l’Atrium est composé d’immenses murs vitrés, laissant ainsi à ses spectateurs le plaisir de contempler la vue sur le fleuve sous une lumière zénithale.
Placé en plein centre du musée, l’Atrium s’élève sur trois étages d’expositions, structurant pas moins d’une vingtaine de galeries, toutes connectées à cet axe principal. La différence avec certains musées se trouve dans la composition de la salle, qui n’est finalement jamais « fermée ». Cette liberté dans la visite dont nous disposons laisse l’impression de se promener au sein des différentes galeries sans jamais quitter l’ambiance artistique du musée.
Spacieux, lumineux et très pratique, le visiteurs se livrent ainsi à une visite agréable, permise par une prouesse architecturale de très bon goût.
Le pari des expositions éphémères
Appareils photos éteints, et audioguides multilingues aux oreilles, nous pouvons alors commencer à se mesurer aux expositions. Au rythme d’un artiste exposé tout les quatre-cinq mois, le musée mise beaucoup sur les expositions temporaires. Cet été, on pouvait observer deux ensembles d’œuvre, de deux artistes très différents : Jeff Koons et Jean-Michel Basquiat.
Placées dans plusieurs salles prévues à cet effet, les œuvres d’arts sont mises en valeurs par le blanc très pur des murs et du sol. Même si le blanc épuré est, on le sait, idéal pour donner un effet de grandeur à une pièce, les galeries sont dès le départ conçues pour être très spacieuses. Ainsi, dans cet édifice immense, où même les pièces sont géantes, le visiteur ne se sent jamais « écrasé ». Grâce à cette organisation bien pensée, nous profitons pleinement des œuvres sans être coincés entre une foule pressante et des murs trop envahissants.
Ces conditions d’expositions presque irréprochables et l’atmosphère idéaliste qui se dégage de ces galeries permettent d’y entretenir des collections d’œuvres très variées. De la création discrète aux grandes œuvres surplombants le centre d’une galerie, le musée n’a presque aucune limite spatiale, ce qui attire les exposants du monde entier.
Jeff Koons est l’un des maîtres dans son domaine. Son exposition « Rétrospective » traduit d’une vision de l’art qui est très peu représentée aujourd’hui. Contemporaine, ses créations sont immédiatement représentatives par nos yeux de consommateurs. Au détour des galeries, nous pouvons alors tout naturellement croiser un énorme chien en ballon gonflable rose brillant, ou bien plusieurs aspirateurs accrochés au mur blanc de la salle d’exposition.
L’artiste qui, selon sa biographie, nous invite à « réaffirmer notre individualité et à faire fi de certains tabous et conventions qui nous bloquent et limitent notre rôle dans la société », fixe son art sur des objets industriels tels que des bouées ou des ballons de basket, qu’il transforme en oeuvres somptueuses. Si cette exposition est « originale » dans le sens où les oeuvres se rapprochent de notre quotidien, elle nous a cependant très peu touché émotionnellement, en comparaison avec le second artiste exposé.
Jean-Michel Basquiat, jeune artiste prodige né en 1960 et décédé très vite à l’âge de 28 ans, est l’un des premiers à révolutionner l’art contemporain. Pour la réalisation de ses toiles, que nous avons pu découvrir au second étage du musée, Basquiat se nourrit de son enfance à Brooklyn.
Des signes, des traits, des dessins, et des mots, parfois même des phrases ; les toiles de l’artiste sont « dérangées » mais parviennent à nous faire passer des messages forts. Au détours de sa collection, on observe très vite les thèmes exprimés dans ses œuvres. A l’image du racisme ou de la délinquance, c’est au moyen de ces sujets sociétaux perpétuels que Basquiat nous pousse dans la critique du monde qui nous entoure.
La direction du musée a fait le choix de proposer uniquement deux expositions d’artistes. Certes très complètes et différentes, il n’est cependant pas impossible que le visiteur soit déçu par les deux artistes. Dans ce cas là, la collection permanente reste une valeur sûre.
Le musée face au temps
Avant même de pénétrer au sein du musée, certaines créations sont observables. Sur la côte du fleuve, une première œuvre, grande d’au moins 10 mètres, fait office de bienvenu aux nouveaux visiteurs. Faite de grandes boules métalliques collées les unes aux autres à la manière d’une molécule, cette grande sculpture appelée « Grand arbre et l’œil » par son créateur Anish Kapoor, nous laisse interrogatif et admiratif.
A quelques mètres plus loin, la seconde sculpture, elle aussi très imposante, représente une immense araignée. Dressée sur 9 mètres de hauteur, l’insecte de la française Louise Bourgeois, fait relativement froid dans le dos. Son nom, « Maman », nous évoque symboliquement l’instinct maternelle, autant protecteur que dévastateur.
Jeff Koons, qui est actuellement à l’honneur dans les galeries du musée, possède avant tout son œuvre permanente dans la collection du musée. Non loin d’être une simple acquisition vulgairement placée dans un coin du bâtiment, la création en forme de chien nommé « Puppy » est postée à l’extérieur, au centre de la place principale du musée. Vêtu d’un magnifique pelage en fleur au couleur bleu, jaune, banche, verte et violet, l’animal est mis en valeur par sa position de « vitrine » du musée.
La collection du Guggenheim Bilbao Museoa est grande et très variée. Sur son site, on retrouve facilement l’annuaire des œuvres acquises par le musée. Pourtant, si l’on en perçoit quelques unes à l’extérieur, les créations restantes ne sont pas tous exposées au grand public dans l’enceinte du bâtiment. Les seules œuvres permanentes du musée ont été conçues sur mesure lors de la création de l’édifice, s’adaptant ainsi parfaitement à l’univers Guggenheim.
« La matière du temps » de Richard Serra, est certainement la plus marquante de celles ci. Conçue pour permettre au public de s’aventurer dans son ventre, c’est une fois à l’intérieur des immenses formes sculptées que l’œuvre dévoile sa complexité et son caractère vertigineux de « mouvement en action ». Face à cette conception surprenante, nous sommes amenés dans une seconde salle, plus petite, centrée sur une grande maquette de l’oeuvre en question, avec de nombreuses explications sur sa création.
Ainsi, le musée ne se contente pas d’exposer, mais crée un ensemble entre l’architecture de l’édifice, la création de sa collection, et les œuvres qui y sont exposées. A la sortie du musée, le public semble majoritairement conquit. Car si l’on peut rester septique sur les œuvres contemporaines exposées qui ne développent pas les mêmes émotions d’une personne à une autre, le musée en lui-même se suffit. Fierté de la ville de Bilbao, le lieu reste incontournable pour les visiteurs amateurs d’aventures uniques en leur genre.