INTERVIEW. Lors des derniers championnats du monde handisport à Doha en octobre, Marie-Amélie Le Fur a été sacrée championne du monde du 400 mètres et du saut en longueur. En plus de cela, la jeune femme de 27 ans détient le record du monde sur le saut en longueur (5,74 mètres) et est également championne paralympique d’athlétisme sur 100 mètres aux Jeux de Londres en 2012. L’athlète est amputée unilatérale (lorsqu’un seul membre est amputé) sous le genou gauche suite à un accident en 2004.
Pour Rio, elle vise le 400 mètres et le saut en longueur. Entre deux entraînements, elle a accordé un interview à la rédaction de WorldZine autour de la question de l’amélioration des performances grâce aux prothèses.
WorldZine : Que représente pour vous votre prothèse ?
Marie-Amélie Le Fur : Ma prothèse est tout simplement la prolongation de ma jambe qui n’est plus là. C’est un outil qui est indispensable à ma vie quotidienne et sportive. Sans elle, je ne suis pas autonome ni mobile. Je ne peux pas créer de performance.
WZ : Comment fonctionne votre prothèse de sport ?
M-A.LF : Il y a plusieurs parties dans une prothèse. Une partie haute qu’on appelle l’emboîture. C’est une coque en carbone moulée sur notre moignon (ce qu’il reste d’un membre que l’on a amputé, NDLR) grâce à un système d’attache qui est un manchon, une grosse chaussette, en silicone. Par un système de dépression d’air, elle tient toute seule comme une ventouse. En dessous, la lame est fixée par des vis sur l’emboîture. Elle fonctionne avec un système de ressort. En courant, on écrase la lame ce qui la déforme. Elle emmagasine de l’énergie et la restitue une fois qu’on relâche l’appui, le tout permet une propulsion vers l’avant.
WZ : Cette propulsion vous avantage-t-elle ?
M-A.LF : On a une sensation d’accélération mais malheureusement on ne peut pas l’utiliser car on est obligé de respecter les capacités de notre jambe valide.
WZ : Comment choisissez-vous vos prothèses ?
M-A.LF : Mon choix est limité par mon corps. On n’est pas dans du super héros mais simplement dans la limite de ce que fournit notre corps, je choisis donc la lame en fonction de ce que je suis. La plus performante sur le papier ne sera pas forcément la prothèse la plus efficace sur nous quand elle sera mise en action. À partir du moment où on est amputé unilatéral on ne peut pas utiliser toutes les propriétés de la lame, aussi performante soit-elle.
WZ : Privilégiez-vous la performance au confort ?
M-A.LF : Les prothèses ont atteint ce que j’attendais en terme sportif. C’est-à-dire qu’elles nous permettent de pratiquer sans douleur et avec plaisir. Pour ce qui est de la performance, pourquoi est-ce que l’on aurait besoin de plus ? Cette dernière passe davantage par l’athlète que par la donnée de la prothèse.
WZ : Est-ce que vous comptez changer de lame pour Rio ?
M-A.LF : Non car cela implique un temps d’adaptation relativement long. Mes lames pour la course et le saut sont prêtes. Chaque lame réagit différemment au sol. On doit donc apprendre à la dompter pour s’en servir. J’ai changé de lame début 2014, je me la suis appropriée.
WZ : Comment apprivoisez-vous votre prothèse ?
M-A.LF : Quand on court, il y a un mécanisme qui se joue au niveau du cerveau. On doit contrôler la force que l’on va mettre sur chaque jambe pour avoir une réponse identique et des foulées qui soient identiques de chaque côté. C’est tout un mécanisme de compensation qu’il faut réussir à gérer, et c’est ce que l’on travaille à l’entraînement. On doit essayer d’avoir la course la plus fluide possible et éviter les saccades quand on passe du pied gauche au droit.
WZ : Les amputés bilatéraux sont-ils favorisés par rapport aux amputés unilatéraux ?
M-A.LF : Je dirais que les amputés bilatéraux ont plus de chances de créer de la performance car leur course n’est pas déséquilibrée. Ils ont deux jambes identiques avec la même réaction au sol. Ils peuvent utiliser leur prothèse à 150 %. S’ils sont bien équilibrés musculairement, leurs prothèses réagiront de la même façon. Leur course est plus fluide, ce qui n’est pas notre cas. À très haut niveau, notre jambe valide est le facteur limitant. On ne peut pas utiliser à 100 % notre prothèse, on est obligé de choisir une dureté de prothèse en accord avec ce que la jambe valide est capable de produire en matière de puissance.
WZ : Vos prothèses encouragent-elles votre course à la performance ?
M-A.LF : On ne sait pas si c’est le changement de ma prothèse ou mes nouvelles mesures d’entraînement avec préparation mentale et musculation qui apportent une amélioration. Je pense que c’est la combinaison des deux. Un athlète qui ne s’entraîne pas et qui porte des prothèses n’aura pas de niveau. La prothèse ne fait pas tout, sinon on aurait toutes le même niveau lors des compétitions internationales et on serait toutes devant les valides. On pourrait mettre n’importe qui sur le vélo de Christopher Froome, les performances ne suivraient pas. Derrière il y a de l’entraînement.