SOLIDARITÉ. En novembre 2016, les premières statistiques du 115, le numéro d’urgence pour les SDF, enregistraient une hausse importante du nombre d’appel. La situation est de plus en plus rude pour les personnes sans-abris. Certaines associations viennent en aide aux plus démunis. C’est le cas de la Croix Rouge française qui gère le SAMU Social de la ville. Reportage avec une équipe de bénévoles dans la nuit du 1er au 2 janvier 2017.
Devant le garage d’un bâtiment de la périphérie se trouve une camionnette blanche siglée Croix Rouge française. Le coffre est aménagé avec une planche en bois, posée sur deux petites étagères en plastique, afin de faire une table pour préparer les sandwichs. Dans les tiroirs se trouvent les boissons chaudes, en poudre, et les couverts en plastique. Les sièges arrières servent à stocker les caisses d’aliments. Les bénévoles se retrouvent aux alentours de 18 heures dans ce même bâtiment. C’est le local qui sert de base arrière au SAMU Social. A Poitiers, c’est la Croix Rouge française qui gère ce service d’urgence. A l’intérieur du local, on trouve toutes les denrées alimentaires, principalement des boîtes de conserve. Il y a également des kits hygiène, des shampoings, des bouteilles d’eau… On trouve aussi des cartons remplis de gâteaux apéritifs, de bouteilles de Champomy et de chocolats. En ces jours de fêtes, les bénéficiaires ont le droit à quelques extras. Les bénévoles s’occupent de charger le camion avant de partir pour une nuit de maraude.
Avant de partir, le 115 donne quelques rendez-vous pour aller voir les personnes qui ont appelé le service d’urgence. L’équipage, composé d’un responsable, d’une bénévole et de deux stagiaires, fait un premier arrêt à la gare routière pour trouver un bénéficiaire qui n’a plus été aperçu depuis près d’un mois. Malgré plusieurs minutes de recherche, les bénévoles ne trouveront personne. Ils auront plus de succès au deuxième rendez-vous. Vincent, quadragénaire, a obtenu un petit appartement après de nombreux mois passés dans la rue. Il a toujours besoin de l’aide de la Croix-Rouge mais, possédant un logement, il n’a le droit qu’à une visite par semaine. Il demande une soupe de tomate, composée de poudre, d’eau et de Viandox, et un sandwich au pâté de volaille. Il aura le droit, en plus, à des petits toasts de foie gras, jour de l’an oblige.
Avant de repartir, Baptiste, le responsable de la maraude ce soir-là, rappelle les consignes de sécurité pour la prochaine halte. Ceux qui les attendent sur la place du Marché, en plein centre de Poitiers, ont appelé à de nombreuses reprises le 115 et ils semblaient énervés. Il rappelle également le mot-code que doit prononcer un bénévole quand la situation dégénère et que l’équipage doit quitter rapidement les lieux. Ils n’en n’auront pas besoin. A l’arrivée du camion, un groupe d’homme s’approche du véhicule. La place est déserte, ils sont les seules âmes vivantes encore présentes à cette heure tardive. Avant même de descendre, on constate que certains ne sont pas dans leur état ordinaire. L’un d’entre eux titube et tient à peine debout. Il doit être aidé par deux bénévoles pour rester sur ses deux jambes. Bénévoles et sans abris se souhaitent la bonne année qui a débuté quelques heures plutôt. Gérald, un bénévole stagiaire, prépare sandwichs et boissons pour ceux qui le souhaitent. La tension d’un débordement reste dans les esprits des bénévoles, notamment à cause de l’alcool. Il ne se passera rien ce soir-là. Avant de repartir pour une nouvelle étape dans la maraude, Baptiste note tous les noms des personnes présentes afin de faire des statistiques.
« On est humains avant tout ! » – Baptiste, co-responsable des maraudes du SAMU Social de Poitiers
Les températures sont glaciales pendant la nuit. Mais ce n’était pas le sujet principal des conversations. Tous évoquent la disparition de l’un d’entre eux en début de semaine. Guy, âgé d’une quarantaine d’année, a été retrouvé pendu. D’après les premiers éléments de l’enquête, il s’agirait d’un suicide. Connu de tous, il était à la rue depuis plusieurs années. Tous les ans, on compte, en moyenne, une personne sans-abri qui décède dans la région poitevine. A chaque fois c’est le choc pour ceux qui les côtoient : « On est humains avant tout », me glisse l’un des bénévoles de l’association. Des cellules psychologiques peuvent être mises en place, aussi bien pour sans-abris que pour les bénévoles. Ils forment en quelque sorte une grande famille.
De retour au local, l’équipe entame un débrief de la maraude qui aura duré plus de 7 heures. Tous évoquent cette tournée de manière positive pour cette nuit-là. Mais l’absence de certains et le comportement d’autres inquiètent. Cette nuit il n’y avait que des hommes, 11 pour être précis, et 9 repas ont été servis. A la prochaine maraude, il faudra voir l’évolution des situations et le cas échéant leur venir en aide. En espérant qu’ils soient toujours présents au prochain passage, ce qui est rarement le cas.
Kévin, 19 ans, un exemple d’une jeunesse à la rue
Depuis décembre 2014, Kévin, 19 ans à peine, est à la rue. Sa vie est un peu l’exemple de la galère sociale de certains jeunes.
Une journée pour Kévin se résume à 24h passées dans les rues poitevines. Il cherche évidemment de quoi se nourrir pour lui mais aussi pour son fidèle compagnon de route, son chien. Âgé de 8 ans, il est de toutes ses aventures, plus ou moins heureuses. Pour lui aussi il doit trouver de quoi manger. Il passe inaperçu auprès des autres et est presque fondu dans la masse, comme tout le monde en apparence. Rien ne pourrait laisser penser qu’il est sans domicile fixe. Il porte des joggings et une doudoune blanche. Il ressemble à tous les jeunes de sa génération. Il a des rendez-vous avec certains organismes et associations pour trouver une solution à sa situation, mais la complexité des démarches administrative en France n’a pas permis une évolution majeure de ses conditions de vie.
Lycéen en bac professionnel, il quitte le domicile de son père, divorcé depuis de nombreuses années avec la mère de Kévin. Elle, est partie s’installer en Suisse. Il reste sa sœur, avec qui ils échangent leurs nouvelles, de temps en temps.
Les rendez-vous avec les associations sont uniquement la journée, il est donc obligé de louper certains cours. L’établissement scolaire décide de l’exclure définitivement en décembre 2014. Il est alors âgé de 17 ans, et tombe très vite dans les travers de la vie dans la rue. Il sera consommateur de certaines drogues et produits pendant plusieurs mois.
Au quotidien, il peut compter sur certains soutiens. Des amis et des anciens camarades l’accueillent pour quelques nuits. L’occasion de dormir au sec et au chaud, mais également de faire des lessives et de manger des repas chauds. Malgré tout, il passe certaines nuits dehors, seul avec son chien. C’est alors les associations qui prennent le relais. Kévin est connu aux Restaurants du Cœur où il vient manger quelques repas. Mais c’est du côté de la Croix Rouge française qu’on le connaît le mieux. On suivait son dossier avant même qu’il ne se retrouve dans cette situation. L’association recense les jeunes qui pourraient connaître des difficultés dans les mois à venir et l’ancien lycée de Kévin l’avait signalé. Depuis, il croise les bénévoles lors des maraudes nocturnes de l’association. Ils lui donnent quelques provisions et surtout du réconfort. C’est l’occasion pour lui de parler et de partager quelques moments de sa vie quotidienne. L’une des pires choses qui soit pour les SDF, c’est la solitude. Elle les accompagne tout le temps, à chaque minute, chaque jour. Ça devient un compagnon indésirable mais inévitable.
Aujourd’hui, il a la tête remplie d’ambition et de projets. Il veut changer de secteur, changer de ville, recommencer tout depuis le début. Il pense partir du côté de l’Alsace, à Strasbourg ou se rapprocher de sa mère en Suisse. Il n’exclut pas non plus de reprendre les études, mais sa priorité est de sortir de l’enfer de la rue et ce n’est pas encore gagné pour lui.
Remerciements particuliers à la Croix-Rouge française de Poitiers, et notamment aux bénévoles de cette maraude, pour la réalisation de ce reportage.