POLITIQUE. Tweet : bruit court et agréable qu’émet un petit oiseau communiquant avec ses compères. La légèreté de Twitter est cependant à relativiser : le réseau social est devenu un espace de communication important que tout le monde, des célébrités aux médias en passant par les personnalités politiques, a investi en masse. Cet outil omniprésent que certains trouvent inutile (notamment parce qu’on a pas le droit d’y écrire plus de 140 caractères par post) est pourtant une mine d’or d’information.
Réalisez ceci : nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir accéder aux pensées personnelles du président du pays le plus influent du monde. En effet, Donald Trump, 45 ème président des Etats-Unis, est un grand fan de Twitter. Bien qu’il ait désormais accès au compte @POTUS, le Twitter officiel du Président, Trump continue d’utiliser quotidiennement son compte personnel. C’est une des raisons pour lesquelles il avait séduit l’électorat américain en novembre dernier : cela contribue à son image d’homme authentique, proche du peuple, et souhaitant démythifier le gouvernement américain. Pourtant, il serait naïf de croire que ses tweets sont innocents : les gazouillis de Trump semblent au contraire au cœur d’une fine stratégie de manipulation.
Les caprices du président
Fidèle à son refus du « politiquement correct », Donald Trump ne mâche jamais ses mots. Il partage sans hésiter ses pensées les plus controversées et réagit souvent de manière impulsive. Si bien qu’il est parfois obligé de se corriger afin de ne pas se faire plus d’ennemis qu’il n’en a déjà. En témoigne les deux tweets suivant : d’abord exaspéré par les manifestations du peuple en sa défaveur, il s’est ensuite fendu d’un commentaire plus calme, rappelant que la liberté d’expression est une valeur phare du pays qu’il dirige.
Il est pourtant rare que Trump accepte la critique avec élégance. Le président semble oublier fréquemment qu’il est un représentant d’un gouvernement, un personnage public, et prend toute remarque liée à sa politique comme une attaque personnelle. L’une de ses principales défenses est ainsi de rétorquer :« ils ne me connaissent pas », ce qui n’est pas un argument politique recevable. On ne peut pas juger une célébrité dont on ne sait rien, effectivement, mais nous pouvons néanmoins juger des actes publics d’un homme politique au service de son pays. A ce titre, les réactions de Trump inquiètent ses opposants politiques ainsi qu’une majorité du peuple américain, car elles suggèrent une forme de personnalisation du pouvoir, ce qui peut induire un fort déséquilibre politique.
La démocratie américaine est initialement conçue selon un principe de « checks and balances », autrement dit, de forces qui s’opposent pour mieux s’équilibrer, afin qu’aucune personne ni institution ne détienne de pouvoir absolu. Ainsi, lorsque le nouveau président a voulu mettre en place un « Muslim Ban », une interdiction pour tout musulman d’entrer sur le territoire américain, le juge James Robart s’est opposé à son décret qu’il estimait anticonstitutionnel. La mise en place de l’interdiction s’est donc vue immédiatement reportée et les voyageurs en provenance des pays concernés, coincés par surprise dans les aéroports des Etats-Unis, ont pu poursuivre leur séjour. Depuis, Donald Trump le prend publiquement à parti sur Twitter, s’indignant du fait qu’il soit possible pour un juge de le contrer ainsi, et multipliant les tweets colériques à son sujet.
Vrai et faux, bon et mauvais
Donald Trump considère que tout média le critiquant est producteur de « fake news », de faits alternatifs et faux. Il n’hésite pas à les pointer du doigt : il s’en est ainsi pris à plusieurs reprises au New York Times, qu’il qualifie de « failing » (que l’on peut traduire par le terme « perdant »). Au contraire, les interviews qui le saluent sont décrites comme bonnes et sont chaudement félicitées. Le langage joue un rôle très important : la stratégie de Trump consiste à appliquer le terme « bon » à ce qui le met en valeur et « faux » à ce qui ne le fait pas. Il s’agit d’une technique de modelage moral basique, mais efficace, et surtout très alarmante.
Le dirigeant des Etats-Unis a par ailleurs commencé à introduire dans son discours une nouvelle expression pour désigner les médias : « the opposition party », le parti de l’opposition, une appellation qui n’est pas à prendre à la légère. En les désignant comme des adversaires politiques, il incite tous ses partisans à les boycotter, et donc à ne s’informer qu’auprès de médias qui ont sa faveur. Les médias, qui sont censés représenter une force neutre et objective d’analyse du pouvoir, sont un outil fondamental du citoyen. A partir du moment où ils sont déclarés comme étant un camp politique opposé, ils ne peuvent plus être pris au sérieux, à l’exception de ceux qui relaient l’idéologie du pouvoir en place. En une seule expression, Trump fait un premier pas vers une importante restriction de la liberté de la presse, une forme de censure par la mort sociale, et indique au peuple américain le bon comportement à adopter.
L’authenticité de Donald Trump n’est pas moins dangereuse que les mensonges masqués par les discours politiquement corrects. C’est en tombant publiquement et continuellement le masque, en jouant la carte de la proximité, que Trump incite à la haine et augmente son pouvoir à travers les outils de manipulation subtils, mais lourds de sens, qui se cachent derrière les dangereux gazouillis de Donald Trump.