VIE ÉTUDIANTE. Doctorat. A entendre ce mot on sait tous de quoi il s’agit : ces lointaines et longues études universitaires au sommet de l’histogramme des études supérieures. Mais rare savent vraiment de quoi il s’agit. Et pour cause, ils ne sont que 75 000 doctorants en France en 2014-2015 sur les 2 470 000 étudiants de l’enseignement supérieur, soit 3%. Ces docteurs en devenirs ont en moyenne 29 ans toutes disciplines confondues. Aujourd’hui, avec les témoignages de deux jeunes doctorants et un professeur d’Histoire à l’université Lille 3, on vous dit tout sur ce cursus, au risque de faire tomber certains clichés.
Organisation du doctorat
Première idée reçue sur le doctorat : il ne dure pas trois ans (pour les sciences humaines et sociales). Rares sont les étudiants finissant une thèse en si peu de temps, nous confie Benoît, doctorant en Histoire moderne qui en est à sa… sixième année de doctorat (oui oui, six ans après le master !). Le cursus doctoral dure à la base trois ans puis est renouvelable de manière dérogatoire chaque année jusqu’à la sixième année. Chaque doctorant est libre de choisir la durée de son doctorat pour ensuite soutenir sa thèse. Mais la commission qui accorde les « années dérogatoires » n’en accorde généralement pas au-delà de six sauf pour les doctorants qui ne sont pas financés, c’est-à-dire qui font leur thèse sur leur temps libre ou encore pour des raisons de santés.
Hervé Leuwers nous explique que cette limite de six ans, relativement récente, est faite d’abord car les exigences du doctorat n’imposent pas de préparation trop longue mais aussi pour ne pas pousser les doctorants (ou « thésards » comme il les appelle) dans des études d’une longueur déraisonnable. Avant cette limitation, certaines thèses s’étalaient sur dix ans ou plus, donnant à l’arrivée des thèses qui dépassaient parfois le millier de pages ! Mais selon Hervé Leuwers, aujourd’hui, les thèses de SHS durent en moyenne quatre à six ans.
Une thèse, c’est entre 350 et 600 pages, nous dit Benoît. Dans cet article nous nous concentrerons sur les sciences humaines et sociales mais les doctorats des « sciences exactes et sciences du vivant » (biologie, chimie, médecine…) durent plutôt trois à quatre années. Delphine, doctorante en histoire de l’art entamant sa quatrième année, nous explique qu’il est très rare qu’une année dérogatoire soit refusée, surtout qu’il est considéré comme normal de prendre plus de trois ans à écrire une thèse : «Si on refuse une quatrième année c’est vraiment qu’on ne fait rien, que les relations avec le directeur de recherche n’avancent pas. Ce serait dans des conditions assez exceptionnelles. Mais logiquement si t’avances dans ton travail, tes recherches, ta rédaction il n’y a pas de raisons qu’on ne t’accorde pas une année supplémentaire».
Leur parcours
Avant d’en arriver là, ils ont tous les deux eu des parcours différents :
Delphine a commencé par une année en graphisme puis s’est orientée vers une licence en art plastique dont une année en Erasmus à Berlin. A la suite de cela, elle s’est lancée dans un master et a essayé de passer le CAPES en art plastique où elle échoue à l’oral. Et c’est justement en passant ce dernier, dans lequel le programme en histoire de l’art était très important, que : «Je me suis rendue compte que j’aimais beaucoup l’histoire de l’art et que plutôt que de retenter le CAPES, qui me plaisait très moyennement, je me suis dit qu’en fait j’adore la théorie, pourquoi je ne poursuivrais pas en master histoire de l’art ? C’est ainsi que j’ai enchaîné sur un master histoire de l’art et sur un doctorat».
Benoît, quant à lui, a d’abord fait trois ans de prépa avant de se lancer dans un master en Histoire puis de passer le CAPES avec succès. Il tente l’agrégation mais échoue à l’oral. L’agrégation est un concours très sélectif et exigeant que peuvent passer les enseignants du secondaire (ou ceux qui ne sont pas enseignants mais détiennent un master ou doctorat dans la matière concernée). Les agrégés enseignent dans les mêmes classes que les détenteurs du CAPES. Ils sont aussi mieux payés et travaillent moins d’heures par semaine, c’est un statut plus avantageux que le simple titulaire d’un CAPES. Par la suite, Benoît enseigne trois ans au collège et un semestre à l’université (en tant que chargé de TD, on y reviendra) puis se dédie entièrement au doctorat. Selon lui, il était important de passer par l’enseignement dans le secondaire. Déjà car au bout de cinq ans d’études, on a envie d’entrer dans le monde professionnel, mais aussi parce que pour être compris par des enfants de douze ans de tous milieux sociaux, il faut être clair et synthétique.
Il observe une différence entre les enseignants à l’université qui sont passés par le secondaire et ceux qui ne le sont pas, ces derniers ont plus de mal à sortir du jargon universitaire et à se faire comprendre clairement. L’enseignement dans le secondaire est donc un atout pour enseigner à l’université car «Le secondaire permet de se former à l’enseignement universitaire, on apprend la pédagogie. Les étudiants qu’on a devant soi à l’université, ce sont d’anciens collégiens et lycéens surtout en première et deuxième année de fac. Quand on commence à sortir le jargon universitaire scientifique, ça peut faire très mal et on peut perdre beaucoup d’étudiants comme ça». Benoît comptait faire plusieurs années d’enseignements puis du travail à mi-temps pour se consacrer à sa thèse. Mais ça lui a paru difficile car les premières années le jeune enseignant est nommé en tant que remplaçant, donc il n’a pas trouvé le temps de jongler entre thèse et enseignement. Il a alors recherché un financement et ne s’est plus consacré qu’à sa thèse. Nous reparlerons plus loin de la question du financement.
Quand on leur demande si dix ans sur les bancs de la fac ça ne commence pas à faire beaucoup, ils nous répondent tous la même chose : les années de doctorat ne sont pas comme les années précédentes. Les doctorants n’ont pas de cours (à ce stade là ils en savent déjà des choses !), ils ne sont pas tous les jours à l’université, ils interviennent dans des séminaires, des colloques, ils écrivent des articles scientifiques, travaillent dans un laboratoire avec une équipe. Au final ils apprennent un métier. Benoît n’a pas vécu cela comme un retour aux études après avoir eu un pied dans le monde professionnel, «Ça n’a pas été dégradant» dit-il. Il trouve cela beaucoup plus concret par rapport à la licence ou au master dans lesquels ce n’est que de l’emmagasinement de connaissances. Delphine nous explique que «Quand tu regardes sur le papier tu te dis « ah c’est long après le bac ». Mais ce sont des années particulières, tu as le statut d’étudiant [Les doctorants ont une carte étudiant, Ndlr] mais en même temps tu fais de la recherche donc effectivement, une fois que ta thèse est rédigée et ton doctorat validé, tu es content que ça s’arrête mais en même temps tu es déjà dans quelque chose qui pourrait t’intéresser professionnellement».
Comment en arrive-t-on à vouloir faire un doctorat ?
Le doctorat est considéré comme « le plus élevé des quatre grades universitaires » après le baccalauréat, la licence et le master. Il consiste à obtenir le grade de docteur après avoir soutenu une thèse. C’est là une grande part du travail du doctorant : faire sa thèse. Deux grandes phases se détachent : la recherche et la rédaction.
Il n’y a pas de concours d’entrée en École doctorale (le nom peut porter à confusion mais les études se déroulent bien à la fac). Il y a une sélection préalable, mais généralement, ceux qui postulent pour devenir doctorant savent ce qui les attendent, arrivé à bac+5 on se lance rarement par défaut dans ce cursus !
La grande question est « comment peut-on être assez fou pour se lancer dans un doctorat ? ». Pour Benoît, cela s’est fait plutôt naturellement dans la continuité de son master. Son mémoire de master portait sur Les pensions de l’Ancien Régime. Il devait en faire une « synthèse embryonnaire » et une fois son master achevé : «Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses à dire, à éclairer et donc très naturellement avec ma directrice de recherche on s’est orientés avec un sujet de thèse là-dessus». Il se concentre donc aujourd’hui sur le sujet de thèse suivant : Pensions et pensionnaires de l’État : aux sources de l’État bureaucrate (1715-1815). Selon lui ça se passe souvent de cette manière, dans la continuité du master. Selon Delphine il est difficile de prétendre vouloir faire un doctorat avant le master puisqu’on ne sait pas vraiment ce qu’est la pratique de la recherche. Elle a voulu se lancer dans un master car elle aime l’histoire de l’art et voulait en faire à proprement parler après avoir fait « plus de la pratique » en licence. Et très vite, elle s’est rendue compte que la recherche, les archives, c’était son truc. Donc, comme Benoît, elle s’est orientée vers le doctorat : «Pour le coup, vu que mes master 1 et 2 se sont bien passés, que ça m’intéressait et que mon directeur de recherche était satisfait il m’a proposé de poursuivre en doctorat».
Durant son master, Benoît a passé son CAPES et par la suite a enseigné dans le secondaire (collège/lycée pour les moins habitués du jargon). Alors pourquoi ne pas s’en être contenté et entrer directement dans la vie active ? Pour lui, c’était surtout l’impression de ne pas avoir été au bout des choses : «Je savais qu’il y avait des archives, des cartons qui n’avaient pas encore été exploités, j’avais une volonté personnelle d’aller au bout du sujet, une intuition aussi». Mais c’est surtout la passion qui a poussé Benoît à s’aventurer dans ces longues études supplémentaires : «Il y aussi le plaisir de la recherche, d’aller au fond de la discipline, de voir le processus d’écriture de l’Histoire et de construction du savoir historique. C’est vrai qu’en enseignant dans le secondaire, il y a quelque chose de très épanouissant à voir les élèves progresser, mais on n’est pas sur le fond de la discipline, on emmagasine des savoirs, on apprend à les transmettre mais on n’en apprend pas davantage. On ne va plus aux archives et moi c’est ce qui me plaisait. Quand on parle avec les doctorants, il y a un plaisir du papier d’archive, du document historique. Il y a aussi une émotion, c’est un témoignage du passé. Au bout de trois ans d’enseignement, ça me manquait. J’avais vraiment envie de continuer sur cette voie : devenir chercheur».
Quand on parle avec les doctorants ou même les docteurs, on se rend compte qu’ils sont très passionnés par leur activité. La preuve : notre interview prévue de dix minutes s’est transformée en une heure ! «C’est un métier très passionnant, ça c’est évident !» confie le professeur Hervé Leuwers.
L’organisation de la thèse
Une étape assez difficile de la thèse : le début. Pour Benoît, c’est un moment assez perturbant où on ne sait pas par où commencer. Le plus important est d’abord de se faire une liste des sources d’archives à exploiter, de se fixer le plus important à faire. Grâce au master, il a souvent une longueur d’avance dans les recherche et il ne retouche pas à ce qui a été fait, ce serait une perte de temps selon lui. Travaillant sur les pensions de l’Etat au XVIIIe, il a dû lire beaucoup d’ouvrages sur les finances publiques et l’histoire de la comptabilité sous l’ancien régime afin de se faire une « toile de connaissance » sur le sujet. Cette toile de connaissance lui servira à mieux comprendre la lecture des archives et à «Ne pas me dire toutes les trois lignes « mais qu’est-ce que c’est que ça ? »». Il doit ensuite réunir un grand éventail de sources et d’archives. Cela donne lieu à un important travail, notamment informatique, avec la transcription de documents manuscrits en numérique, la photographie des sources, les numériser, etc… Benoît a beaucoup d’admiration pour tous ces historiens qui ont écrit des thèses de si haut vol avec si peu de moyens techniques avant l’ère du numérique.
Ça peut vite paraître comme une vague immense qui va nous submerger
«Certains jours on peut ne rien trouver d’intéressant et d’autres plein de choses intéressantes». Tout au long de la phase de recherche, Benoît rédige régulièrement des pages de synthèses car «On passe rapidement à autre chose, c’est assez terrible de devoir relire ce qu’on a déjà lu». Une fois que le doctorant a réuni un éventail de sources assez large, il peut commencer à en faire ressortir des idées générales, qui sont transversales à toutes les sources, permettant d’établir un plan évoluant progressivement.
Une fois cette partie du travail terminée, la phase de rédaction de la thèse commence. C’est à la fois un travail d’analyse, de mise en ordre des connaissances, d’explication des sources et de citation de certains passages. Mais le plus important est de faire le lien entre ce qu’on est en train de dire et ce que d’autres historiens ont déjà dit sur le sujet. On peut laisser par la suite des questions en suspens : «Le but de la thèse n’est pas de répondre à toutes les questions. Il faut en laisser pour d’autres. Il faut que la thèse soit une réponse avec des hypothèses et des questionnements sur d’autres sujets» nous dit Benoît. La rédaction de la thèse prend environ une année selon ses dires. Tout dépend du rythme de travail, quelqu’un qui rédige sa thèse sur dix ans mettra plus d’un an à la rédiger et celui s’y prenant sur trois ans mettra moins d’une année.
En se mettant à la place de ces doctorants, on peut se demander si, au départ, faire une thèse ne paraît pas quelque chose d’impossible. Benoît nous avoue que oui, ça peut vite paraître comme «Une vague immense qui va nous submerger». Mais c’est à ce moment qu’il faut savoir faire un pas de côté et se dire que «Le but d’une thèse n’est pas de répondre à tout. C’est là qu’il faut arrêter d’être perfectionniste. Ça peut aussi rendre malade».
Comment s’organise la journée type d’un doctorant ?
Le doctorant n’a pas de cours et par conséquent, pas d’emploi du temps. Il se consacre entièrement à la recherche pour rédiger sa thèse. Il doit donc organiser lui-même son temps, ce qui demande une grande rigueur : «On est son propre maître, si l’on n’est pas capable d’avoir cette rigueur, ça peut être terrible au final. Mais dès qu’on a réussi à prendre le pli, ça va». Delphine doit tout de même se plier à un certain emploi du temps car elle enseigne et travaille en parallèle dans un musée pour financer ses études (on en reparlera plus loin). La première difficulté soulignée par les doctorants est la solitude. Contrairement à d’autres sciences ou les scientifiques travaillent ensemble dans un laboratoire, le doctorant de sciences humaines et sociales est confronté à lui-même. Delphine se réjouit donc de la mise en place d’une salle des doctorants pour travailler ensemble, cela permet de rencontrer les doctorants qui travaillent sur des problématiques, des thématiques communes. Benoît rejoint Delphine sur ce point. En ce moment, il rédige sa thèse donc travaille surtout chez lui, mais dès qu’il a besoin de voir du monde, il se rend dans la salle des doctorants. La BU de Lille 3, renfermant près d’un million d’ouvrages, est un lieu tout aussi fréquenté des doctorants.
Au niveau de la vie sociale
Dans tout cela les doctorants ont-ils de la place pour leur vie sociale ou sont-ils submergés par leurs études ? Cela dépend essentiellement d’eux, tout comme leur organisation. Delphine assure avoir du temps pour elle malgré le fait d’avoir plusieurs casquettes : «Je ne travaille pas non plus de six heures du matin à minuit. Il y a des week-ends où je ne travaille pas car il faut savoir s’arrêter, il faut laisser le temps de décanter». Benoît assure qu’on peut vite être submergé par tout cela, au point de devenir autiste et de ne parler que de son sujet. C’est pourquoi il est important de se ménager des temps de respiration. Il fait lui-même du théâtre une fois par semaine et s’accorde comme Delphine des week-end de pause même si, selon lui, le cerveau fonctionne toujours sur le sujet. Quand on est doctorant, il ne faut pas non plus oublier de penser à sa famille et son couple. Pour Benoît, être en couple peut aider à tenir la route car il arrive d’avoir des moments de découragement et ne pas être seul est important dans ces moments-là.
En parlant de famille, les proches de Benoît n’ont pas été surpris de le voir se lancer dans un tel cursus. Ils n’ont peut-être pas compris ce que cela impliquait, mais lui-même ne le savait pas vraiment au début, confie-t-il. Mais comme il entame la rédaction de sa thèse cette année, il a prévenu sa famille qu’il sera infect, infernal et pas toujours agréable ! Attention, nous avertit-il, il faut savoir parler d’autre chose et ne pas bassiner sa famille avec son sujet. Il ne faut pas oublier de vivre, de boire des bières et de faire la fête ! Cependant, les derniers mois de rédaction demandent une discipline quasi-monacale, il faut s’isoler et c’est malheureusement nécessaire pour garder une certaine cohérence dans sa rédaction. Ce n’est pas plus désagréable que les derniers mois précédant un examen ou un concours, selon lui. Mais à entendre certains doctorants qui viennent de terminer leur thèse, cette phase finale est assez infernale.
Les vacances des doctorants
Les futurs docteurs sont autonomes jusqu’au choix de leurs vacances. Les salariés comme Delphine doivent tout de même se plier au planning de leur embaucheur. Mais elle précise qu’au niveau de la fac, si on décidait de partir en vacances en plein milieu d’un semestre, ça ne choquerait personne. C’est important de s’obliger à aller prendre l’air une semaine, à aller voir ailleurs. Mais globalement la grosse pause au niveau de la formation, des séminaires et des colloques est entre fin juin et début septembre. De plus, les années de doctorat ne se comptent pas en années scolaires mais en années civiles.
L’épineuse question du financement du doctorat
On distingue deux profils de doctorants : ceux qui, comme Benoît, bénéficient d’une bourse de financement et ceux comme Delphine qui doivent travailler pour financer leurs études. Le doctorat en lui-même ne coûte pas cher, les frais d’inscriptions annuels sont de l’ordre de 400€. Le doctorat coûte cher plutôt en temps de vie : il faut payer son loyer, ses déplacements, les dépenses du quotidien et acheter des livres, le tout en étant étudiant. Cette situation peut être moralement difficile, confie Benoît : «Quand on arrive à 30 ans avec un bac +7, 8 ou 9 et qu’on ne gagne que des clopinettes c’est assez agaçant». Benoît souligne que, pour beaucoup de doctorants, c’est la précarité, ils enchaînent les petits jobs, vivent des allocations chômages et du RSA. Contrairement à certaines disciplines comme la physique où 97% des doctorants bénéficient d’une bourse, seul 35% des doctorants en sciences humaines et sociales inscrits en première année en 2014-2015 en ont bénéficié. C’est la filière la plus pauvre en termes de bourses.
Delphine le sait bien, en plus de ses études, elle travaille dans la librairie du LaM (musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut) et enseigne dans une école de graphisme. C’est moins de temps pour se consacrer à sa thèse, contrairement à Benoît qui bénéficie d’une bourse de 1400€ net mensuels de l’Assemblée Nationale. Il nous explique que les bourses peuvent venir de l’Etat, de la région, d’instituts donateurs ou d’institutions, comme pour lui. L’Assemblée Nationale subventionne tous les ans un chercheur en histoire du droit ou en histoire parlementaire. C’est un double avantage puisqu’il n’a pas à donner de cours. En effet, généralement, les bénéficiaires d’une bourse doivent en contrepartie être chargés de TD à l’université. C’est-à-dire assurer les cours en petits groupes qui sont supervisés par un professeur ou un maître de conférence (ne paniquez pas, on vous explique la différence entre ces statuts dans la partie « Débouchés »). Contrairement aux bourses d’études, qui sont attribuées du secondaire au master, la bourse de recherche ne se base pas sur des critères sociaux comme le revenu des parents. Le doctorant doit monter un dossier, présenter son projet de recherche et passer devant un jury qui décidera de lui accorder ou non sa bourse.
Il est difficile de convaincre une entreprise d’embaucher un chercheur
D’autres contrats existent, comme le contrat CIRFE : le doctorant travaille avec le laboratoire de recherche d’une entreprise pour, à long terme, pouvoir l’intégrer. Mais ce type de contrat est plus rare en sciences humaines et sociales car «Il est difficile de convaincre une entreprise d’embaucher un chercheur, à part si l’entreprise est ancienne, si elle a un fond d’archives et si elle a envie de valoriser son histoire mais ce n’est pas encore entré dans la culture des entreprises françaises».
Un autre problème rencontré en master est le statut. Delphine nous dit que, comme beaucoup de doctorants, elle doit payer son inscription à la fac sans l’aide de sa sécu étudiante car «Soit on est salarié, soit on est trop vieux pour en bénéficier». Certains étudiants abandonnent leur thèse à cause de ce manque de financement. Benoît y a d’ailleurs pensé au bout de trois ans car il trouvait cela absurde de s’inscrire tous les ans, de payer des frais d’inscription pour au final ne pas faire grand-chose. Contre ce problème de précarité qui touche les doctorants, Benoît pense que la solution serait un élargissement du nombre de contrats de financement doctoraux ou alors «Une meilleure coordination entre les enseignants habilités à diriger des recherches pour faire en sorte que les sujets qu’ils proposent soient des sujets porteurs et susceptibles de recevoir des financements». Mais Benoît rappelle que le but de la recherche n’est pas d’être soumis à une demande vénale, que ce soit de la part de l’Etat ou des entreprises : «Il faut qu’il y ait une indépendance et ça c’est à l’Etat de le faire en garantissant de l’argent pour des sujets nouveaux et qui sortent de la demande. La recherche ne peut pas être soumise à la loi de l’offre et de la demande sinon elle passe à côté de sa vocation, sinon ce n’est plus de la recherche mais du service».
Le rôle du directeur de recherche
Le directeur de recherche est le professeur qui encadre les doctorants. La relation y est différente des autres cursus car les doctorants sont des chercheurs en devenir, donc de possibles futurs collègues. Ils n’ont pas de devoirs à rendre ou quoi que ce soit, le directeur de recherche est là entièrement pour les encadrer et les aider tout au long de leur thèse. Suite à un arrêté ministériel qui instaure plusieurs changements, un comité de suivi sera mis en place pour que l’étudiant ne se retrouve pas seul face à son directeur de thèse (ce qui posait parfois des problèmes).
Selon Benoît et Delphine, le rôle du directeur de thèse est très important, on peut compter sur lui pour avoir de l’aide dans les moments difficiles de la thèse et grâce à lui on se sent un peu moins perdu et seul face à sa thèse. Pour Delphine : «Il y a une relation de confiance, c’est un travail sur plusieurs années, tu peux vivre des moments difficiles, des moments où tu bloques, où tu n’avances pas, où tu ne trouves pas ce que tu veux. C’est pour ça qu’il faut prendre le temps de choisir son directeur de recherche. Il ne faut pas se lancer dans un doctorat si on ne s’entend pas bien avec son potentiel directeur de recherche». Car en effet c’est bien le doctorant qui choisit son directeur de recherche. Mais la plupart du temps le choix est rapidement fait car vu qu’une thèse se fait sur un thème très précis et sur une époque définie, les spécialistes capables d’accompagner des thésards sont rares. Delphine n’a pas eu le choix, c’était le seul professeur de Lille habilité à diriger des recherches en histoire de l’art moderne.
Cette configuration peut poser problème car le directeur de recherche risque d’être moins disponible plus il a d’étudiants. Celui de Delphine en accompagne dix (ce qui est beaucoup) et celui de Benoît trois. Le professeur Hervé Leuwers a en charge cinq étudiants. Les rencontres entre directeur de recherche et doctorant ne sont pas les mêmes en fonction de l’avancée dans la thèse et le profil de l’étudiant. Hervé Leuwers accompagne un étudiant qui est à Lyon, il ne le voit donc qu’une fois par an, mais une autre de ses doctorantes enseigne à Lille 3 (en tant que chargée de TD, le poste que les doctorants peuvent occuper en faisant leurs études) donc il la voit plus régulièrement, tous les quinze jours. Si l’on est dans la phase de rédaction de la thèse, on voit généralement moins son directeur de thèse, on lui envoie régulièrement des chapitres mais c’est plutôt dans la phase de recherche que ses conseils sont très sollicités.
Hervé Leuwers nous explique qu’en tant que directeur de thèse il encadre un doctorant en plusieurs étapes :
- D’abord en l’aidant à définir son sujet pour qu’il trouve un sujet pertinent par rapport aux préoccupations actuelles de recherche. Il faut un sujet qui puisse inscrire le doctorant dans une dynamique de recherche, intéresser des potentiels lecteurs et le monde universitaire. Il faut surtout que le sujet en question soit réalisable dans les temps – trois à six ans – et que des sources à exploiter existent (archives, bibliographies…). Le choix du sujet se fait aussi en fonction des moyens de l’étudiant : s’il peut se déplacer dans tel type d’archives, s’il travaille en même temps qu’il étudie, etc «L… Parallèlement, le directeur accompagne le futur doctorant dans une possible recherche de financements.
- La deuxième étape est, toujours selon Hervé Leuwers, l’encadrement proprement dit du travail de recherche. D’abord en orientant le thésard vers des bibliographies, des archives, des ouvrages mais aussi des problématiques et des thématiques. L’enseignant veille toujours à ce que le thésard reste dans son domaine de travail et ne s’écarte pas de son sujet.
- Le directeur de thèse est aussi là pour guider le futur docteur dans ses choix de colloques et de rédaction d’articles. Car le professeur Leuwers nous le rappelle : «Le temps de la thèse, c’est aussi la confrontation avec des contradicteurs éventuels, il faut présenter les résultats de ses recherches et être prêt à les défendre, il faut aussi les présenter dans des articles de revues. Donc là aussi il y a des choix à faire pour savoir dans quels colloques aller, que dire, quels sont les thèmes à privilégier, quelles revues solliciter, comment les solliciter».
- La dernière fonction du directeur de thèse est d’apporter une aide pour la rédaction de la thèse. Il conseille sur la forme, aide à trouver le juste équilibre dans ses propos. C’est un grand travail de relecture.
La soutenance de la thèse
La soutenance est, après de longues années de recherche, l’étape ultime avant d’être officiellement docteur. Cette épreuve se déroule sous forme d’audition, le doctorant passe devant un jury composé de trois, quatre ou six personnes qui vont l’auditionner. En sciences humaines, elle peut durer longtemps, facilement trois ou quatre heures ! Les membres du jury sont des experts en la thématique abordée. Par exemple, Delphine travaille sur le goût pour l’art au XVIIIe, il y aura donc des historiens du XVIIIe, des historiens de l’art, peut-être des conservateurs de dessins, etc…
Le nouvel arrêté signé par Najat Vallaud-Belkacem rend obligatoire «une représentation équilibrée des femmes et des hommes» dans la composition du jury. Mais avant de présenter sa thèse, le futur docteur recevra un premier compte rendu de « rapporteurs » qui auront préalablement lu sa thèse et lui feront part des questions qui leur viennent, des points qu’ils ne comprennent pas, etc… On peut évidemment se demander sur quoi le jury jugera le doctorant, puisque personne à part lui ne connaît mieux son sujet. Delphine nous explique qu’ils jugent surtout la démarche scientifique : si ce qu’elle écrit est cohérent, si sa bibliographie est suffisamment riche, les sources qu’elle est allée consulter, si ses conclusions et hypothèses sont logiques et crédibles, la façon dont elle met en relations ses sources. Mais ils regardent surtout si son travail est innovant et apporte de nouvelles connaissances car «Une thèse apporte des choses qui n’ont pas encore été faites, le jury doit donc apprendre des choses aussi !»
Débouchés
Avant même de terminer sa thèse, le doctorant peut occuper le poste de chargé de TD (travaux dirigés), ou d’ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche). Sous la direction d’un maître de conférence ou d’un professeur, il anime les cours en petits groupes dispensés au sein d’une licence. Une fois sa thèse validée, il y a deux voies nouvelles qui s’ouvrent à lui : maître de conférence ou ingénieur de recherche (pour superviser des recherches scientifiques). Il y a évidemment d’autres métiers tel que conservateur ou travailler dans une maison d’édition mais cela reste moins fréquent. Le maître de conférence travaille à l’université et donne des cours aussi bien en TD qu’en cours magistraux. Il peut développer une compétence supplémentaire : superviser des recherches. Il devient alors maître de conférence HDR (habilité à diriger des recherches). Il peut encadrer des doctorants comme le fait un « professeur des universités ».
Pour devenir maître de conférences HDR il faut écrire une nouvelle thèse dans un format différent – bien que d’usage on ne parle pas d’une thèse même si ça s’en rapproche. En Histoire, c’est un travail neuf, qui comprend à la fois une réflexion sur le parcours de recherches et d’enseignement qui a été fait avec quelques éléments de prospective sur la manière dont les recherches pourraient se dérouler ensuite, mais aussi une recherche neuve, prête à la publication ou déjà publiée. Ce dernier travail est plus léger qu’une thèse : environ 300 pages et il peut être directement édité pour un public élargi, alors qu’une thèse de doctorat doit être retravaillée et allégée pour être accessible à un public plus large. Le maître de conférence HDR peut encore évoluer pour devenir professeur, le dernier échelon universitaire. Pour ce faire, le maître de conférence HDR doit postuler à un poste de professeur qui est mis au concours au niveau national. Les postes sont disponibles en fonction de la demande des universités. Pour postuler à ce concours il faut envoyer un dossier avec son habilitation à diriger des recherches, un choix d’articles réalisés ainsi que quelques ouvrages publiés avec un projet de recherche pour s’intégrer dans l’équipe dans laquelle on va être nommé. Les dossiers sont ensuite classés et le futur professeur peut choisir l’université dans laquelle il souhaite être nommé après y avoir été auditionné, dans le cas où il est retenu sur plusieurs postes.
Il n’y a pas tant de postes que ça pour enseigner à l’université
Une fois sa thèse validée, Delphine serait tentée de devenir ingénieure de recherche, pour elle ce n’est pas systématique que : «j’ai un doctorat donc je deviens maître de conférence». D’autant plus que prétendre avoir un poste de maître de conférence est compliqué car il n’y a pas tant de place que ça : l’année dernière, aucun poste de maître de conférence en histoire de l’art moderne (sa discipline) n’était disponible. Il est donc bien de privilégier d’autres pistes selon elle.
Benoît, lui, souhaiterait devenir maître de conférence dans l’idéal. Mais avant, il doit passer devant le CNU, le conseil national des universités, qui valide les thèses et autorise les jeunes docteurs à postuler en tant que maîtres de conférence. Mais pour lui, cette procédure dépend beaucoup de son profil, les publications qu’il a réalisé et surtout s’il correspond à l’axe de recherche de l’université. S’il ne trouve pas de poste de maître de conférence, il retournerait par défaut enseigner dans le secondaire car «il faut bien manger !». Mais cette expérience dans le secondaire commence aussi à lui manquer. Il nous confirme que les postes de maîtres de conférence ne sont pas nombreux car le renouvellement ne se fait pas de manière régulière. D’après lui, c’est assez rare d’avoir son doctorat et d’obtenir un poste de maître de conférence tout de suite après. En attendant, on peut occuper un poste d’ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche), c’est comme un chargé de TD, mais il peut en plus de cela avoir des missions de recherche. Ce poste est, comme son nom l’indique, temporaire ; il est confié ou à des thésards, ou à de jeunes docteurs. On peut rester ATER une, deux voire trois années. Pendant ce temps, on est quand même moins payé qu’un maître de conférence. Environ 1697€ net par mois quand on est ATER.
Quel est le salaire d’un professeur d’université ou un maître de conférence ?
En parlant de salaire, combien touche un maître de conférence ou un professeur à l’université ? Hervé Leuwers nous répond en souriant qu’on peut trouver cela sur internet très facilement ! Alors voici ce que nous dit notre ami internet. Comme pour tout salaire, il est difficile de donner un chiffre exact, mais un professeur d’université touche entre 3000€ brut en début de carrière et 6000€ brut en fin de carrière. Comme c’est un métier de la fonction publique, il y a des grilles de salaire précises en fonction des échelons, mais cela varie beaucoup en fonction des primes de recherche qui peuvent s’y ajouter ou encore des primes d’encadrement (un directeur de recherche touche de l’argent pour chaque doctorant qu’il suit), des revenus de droits d’auteur, de conférences, etc…
Pour un maître de conférences c’est un peu moins de 2000€ en début de carrière et un peu plus de 3000€ en fin de carrière, avec toujours des variations en fonction de plusieurs facteurs.
Peut-on remettre en question l’existence du doctorat ?
Finissons avec une question de fond, mais aussi une question qui peut déranger : au final, à quoi servent les docteurs ? Entendons par-là un docteur-chercheur – comme la grande partie des docteurs en sciences humaines. Ce qui peut déstabiliser de prime abord est que, contrairement à beaucoup de métiers qui produisent des services échangeables contre de l’argent, les docteurs en sciences humaines produisent de la connaissance. Ils sont évidemment payés grâce à des financements divers qui viennent souvent de l’Etat ou de la région. Mais leur métier ne consiste pas à chercher une rentabilité en répondant à une demande économique mais plutôt de répondre à une « demande sociale » en créant de nouvelles connaissances, en éclairant certaines lacunes en matière de savoir.
Les docteurs peuvent en quelque sorte aider à concevoir le futur
Si vous n’êtes pas adepte des études supérieures ou du monde universitaire, vous pouvez penser que ce que produisent les docteurs ne vous concerne pas, mais détrompez-vous. Prenons par exemple Hervé Leuwers, il a consacré sa thèse à Merlin de Douai, un juriste français. Le réflexe du « commun des mortels » qui cherche une information est de se rendre sur internet et en particulier Wikipédia. Il sera beaucoup plus simple de taper « Merlin de Douai » sur Google que d’aller lire une thèse de plusieurs centaines de pages dessus. Mais lorsqu’on lit l’article Wikipédia sur ce fameux juriste, on se rend compte dans les notes qu’il est essentiellement voire totalement écrit à partir des travaux d’Hervé Leuwers. Donc, sans les travaux des chercheurs (qui peuvent souvent paraître longs, très détaillés et inaccessibles) l’accès à la connaissance serait différent.
Hervé Leuwers nous confirme que le rôle du docteur en Histoire est «d’apporter à la société des connaissances nouvelles mais aussi des réflexions sur le passé et ses rapports avec le présent». Les docteurs en sciences humaines peuvent avoir des apports sur des sujets d’actualités. Hervé Leuwers fait partie d’un groupe de travail sur les professions réglementées, aux côtés de sociologues, économistes et juristes. Grâce à leur discipline, ils jouent un rôle dans des réflexions contemporaines, ils peuvent en quelque sorte aider à concevoir le futur.
On peut aussi se demander si, au bout d’un moment, on n’aura pas tout trouvé dans la recherche et si à ce moment-là le docteur deviendrait inutile ? Benoît pense que «Pour ça il faudrait arrêter le temps, et donc l’Histoire en train de se faire, et avant cela avoir dépouillé, analysé et croisé toutes les archives du monde entier – c’est physiquement impossible». Pour Hervé Leuwers, il y aura toujours de nouvelles sources à exploiter, de nouvelles questions à se poser mais aussi de nouvelles manières d’aborder certaines thématiques. Et puis pour lui chaque génération interroge l’Histoire avec ses préoccupations du moment : «Je crois que chaque génération a besoin d’écrire l’Histoire et de l’écrire de manière différente. Certains livres ont été écrits 50 fois en 200 ans mais chacun a été écrit différemment et a intéressé un lectorat différent. Donc non, je ne crois pas que les sujets seront épuisés». Donc, aux futurs historiens qui nous lisent, rassurez-vous, vous aurez encore du travail !