POLITIQUE. « Tout n’est pas politique, mais la politique s’intéresse à tout ». Près de 6 siècles plus tard, cette citation de Machiavel, un théoricien de la politique, a une résonance particulière aujourd’hui. En effet, les jeunes ne semblent pas totalement impliqués et écoutés dans ce domaine. Abstention, défiance, montée des populismes ou encore mobilité électorale sont directement associées à la relation que les jeunes entretiennent avec la politique aujourd’hui.
L’engagement des jeunes en politique ne se traduirait plus par le vote, qui semble être devenu un droit que chacun est libre d’exercer ou non, mais par des mouvements annexes de contestation comme « Nuit Debout » par exemple.
Une jeunesse désenchantée par la politique ?
Certains jeunes se désintéressent de la politique par fatigue ou désillusion. Tandis que d’autres choisissent de se tourner vers les extrêmes.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les jeunes ne sont pas dépolitisés, comme l’explique Marie-Cécile Naves, politologue : « Il faut rompre avec l’idée que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique, sont individualistes et peu préoccupés par les enjeux d’intérêt général. Les moins de 30 ans ont une conscience politique forte, à l’image de leurs aînés, car en France on parle beaucoup de politique : dans la famille, dans la cour de récréation, à la fac, dans les médias. En France, on aime le débat, la polémique, la joute intellectuelle. »
Cet intérêt pour la politique varie d’un milieu social à l’autre. « Plus le capital culturel est élevé, plus vous êtes insérés socialement et économiquement, plus le niveau d’intérêt pour la politique est élevé. Ainsi, les étudiants s’y intéressent beaucoup (ce qui ne veut pas dire qu’ils se reconnaissent dans les leaders et les partis politiques traditionnels), alors que les jeunes sans diplômes et/ou victimes d’exclusion sociale développement un fort ressentiment contre les élites et s’éloignent du politique. ».
Pour Enzo, 19 ans et étudiant en économie gestion, la politique est primordiale pour tout individu.« Même si on ne la pratique pas, il est de notre devoir de citoyen de s’intéresser à la politique, d’en discuter en famille, entre amis. Si on arrête de s’intéresser à la politique, on ne risque plus de rester dans une démocratie très longtemps. ». Tandis que d’autres comme Alizée, 19 ans et étudiante en techniques de commercialisation, accordent peu d’intérêt pour la politique, souvent éloignée de ses citoyens. « J’ai le sentiment qu’ils agissent pour leurs intérêts au final, le tout masqué par des propositions superflues pour faire croire à une proximité avec les citoyens. Parfois les partis, relayés par les médias, nous assomment avec leurs histoires personnelles, ce qui masque les réels problèmes de notre pays. »
Mélina Manthoulis, 20 ans, gère la fédération des jeunes socialistes du Tarn à côté de ses études d’Histoire. S’impliquer en politique est essentiel pour elle. « C’est inconcevable pour moi de voir des inégalités au quotidien et de rester immobile. Quand on s’engage en politique on se bat pour changer les choses et faire en sorte que la société avance un petit peu de notre vivant. Quand on milite pour une cause et qu’on en voit les répercussions c’est phénoménal. »
Voter, un acte devenu facultatif
Les jeunes se déplacent peu aux urnes ou seulement pour l’élection présidentielle. Le vote serait alors devenu un simple droit aujourd’hui alors qu’il était de l’ordre du devoir de tout bon citoyen autrefois. C’est ce qu’explique Pierre Bréchon, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble, pour le journal Le Monde en février 2016. « Toute l’éducation, transmise aussi bien par l’école que par l’institution catholique, inculquait le sens du devoir électoral. Progressivement, cette culture a été remplacée par celle du vote conçu comme un droit, que l’on exerce si l’on estime avoir de bonnes raisons de le faire. »
En France, les jeunes se déplacent principalement pour la présidentielle. Selon l’Insee, en avril 2012, 71 % des hommes et 74 % des femmes de 18-24 ans ont participé au premier tour, pour un taux de participation tous âges confondus d’environ 80 %. Pour toutes les élections intermédiaires à la présidentielle qui ont eu lieu depuis 2012, c’est la génération des 18-24 ans qui a enregistré le plus fort taux d’abstention. 64 % des 18-24 ans ne se sont pas déplacés aux urnes pour voter lors des régionales de 2015, contre 52 % de l’ensemble de l’électorat. Une abstention qui reste plus marquée chez les jeunes, comme le remarque Marie-Cécile Naves, politologue. « Majoritairement, les moins de 30 ans s’abstiennent aux élections. Il en va de même pour le nomadisme, voire la volatilité électorale (on donne alternativement son vote à la droite ou à la gauche). »
Les jeunes seront-ils au rendez-vous en avril et mai 2017 pour la présidentielle ? Une enquête du Cevipof a été réalisée un an avant les élections, en mai 2016, auprès des jeunes qui pourront voter pour la première fois à une élection présidentielle en 2017 (les primo-votants), soit 3,3 millions de nouveaux électeurs potentiels. 80 % d’entre eux ont déclaré s’intéresser à celle-ci, soit presque autant que l’ensemble de la population (84 %). La désaffection des jeunes pour la politique reste donc à nuancer. Pourquoi aller voter ? Les thèmes qui préoccupent davantage les 18-25 ans sont l’emploi, le pouvoir d’achat, la lutte contre le terrorisme et la question de l’accueil des migrants.
Une jeunesse qui a des cartes à jouer en politique
« Je pense que les jeunes ont leur rôle à jouer en politique. Mais il faudrait qu’on nous implique dès le plus jeune âge. Il faut faire comprendre aux jeunes que la conscience politique est importante car elle leur permettrait de mieux pouvoir choisir leurs représentants. », remarque Clara, 19 ans, étudiante en Histoire.
Chacun aurait son propre rôle à jouer en politique comme le rappelle, Marie-Cécile Naves. « Le rôle des jeunes est immense, à condition qu’on leur donne leur place. Ces derniers ne se sentent pas du tout représentés par les personnels politiques en place, majoritairement des hommes blancs de plus de 50 ans issus des mêmes milieux sociaux et ayant les mêmes diplômes. Il faut lutter contre le cumul des mandats (dans le temps et simultané) et rompre avec les modes de cooptation habituels en politique pour casser cet entre soi mortifère. »
Des politiques pointés du doigt par les jeunes qui les jugent souvent déconnectés de la réalité, comme Elise, 17 ans en terminale ES. « La politique est trop professionnalisée. La plupart des politiques le sont depuis bien trop longtemps. Tout cela induit un abîme entre citoyens ordinaires et monde politique. Et après ils s’étonnent du désintérêt de certains. »
De nouveaux modes d’engagement pour une politisation différente
Le CNRS a publié les résultats de son enquête “Génération What?” en décembre 2016. Plus de 320 000 jeunes Français âgés de 18 à 34 ans ont été interrogés sur leur vision de la politique. 87 % d’entre eux n’ont pas confiance dans la politique et 99 % des participants considèrent que ceux qui l’exercent sont plus ou moins corrompus. L’engagement dans une organisation politique les attire peu : seuls 32 % se disent éventuellement intéressés. Mais près des deux tiers seraient prêts à prendre part dans les prochains mois à un grand mouvement de révolte.
Les jeunes sont davantage critiques envers la politique, c’est pour cela qu’ils s’engagent différemment. Le recours aux moyens d’action protestataires a considérablement augmenté pour toutes catégories d’âges confondus. En 1981, à peine une personne interrogée sur deux avait participé à une manifestation ou pouvait le faire, tandis que 71 % en 2008. Cette tendance s’est observée davantage chez les jeunes qui n’hésitent plus à descendre dans la rue pour faire entendre leur voix. « Certains jeunes se tournent vers des associations ou des syndicats. D’autres manifestent ou occupent des lieux comme on le voit avec la mobilisation contre la loi El Khomri (et « Nuit Debout »). Des jeunes s’engagent dans une perspective antiraciste, d’autres féministe, d’autres luttent contre la précarité ou veulent apporter leur soutien aux migrants. Il y a une constante dans ces formes diverses d’engagement : la volonté de faire converger les luttes. », observe l’historienne Ludivine Bantigny dans un interview donné au journal La Croix en mai 2016.
Les réseaux sociaux font partie des nouveaux moyens d’engagement politique depuis quelques années. Les jeunes y sont massivement représentés et n’hésitent pas à participer au débat public comme lors du Brexit ou encore de donner leur avis sur l’élection de Donald Trump. Au cours des primaires de la droite et de la gauche différents mouvements se sont développés sur les réseaux sociaux et en particulier sur Twitter. Les jeunes pouvaient s’exprimer par l’intermédiaire du hashtag #LesJeunesAvec… afin d’affirmer leur soutien à tel ou tel candidat.
Une partie de la jeunesse se tourne vers les extrêmes
Une jeunesse française qui se sent trop éloignée de l’intérêt des politiques actuelles. Conséquence directe : certains n’hésitent pas à voter pour les extrêmes. Le Front National profite de ce phénomène d’exclusion des jeunes de la politique. « Aujourd’hui, le FN est le parti pour lequel les jeunes votent le plus », rappelle la sociologue Anne Muxel pour le journal Le Monde. « Face au balancier gauche, droite, gauche, droite…, les jeunes veulent renverser la table et faire en sorte que demain les intérêts du Peuple passent avant ceux de quelques puissants, de quelques banquiers ou hommes d’affaire. C’est cet espoir qu’incarne le FN. » explique Gaëtan Dussausaye, 22 ans, directeur du Front National de la Jeunesse. Aux élections européennes de 2014, pour lesquelles 73 % des moins de 35 ans se sont abstenus, 30 % d’entre eux ont voté FN, un taux supérieur à la moyenne du vote pour ce parti (25 %).
La politique sert, pour les jeunes et les moins jeunes, à changer la société, dans la vie quotidienne. Cependant, notre société ne semble pas faire confiance à sa jeunesse. « La quasi totalité des candidats à la Présidentielle sont dans cette idée de « mater » la jeunesse, et non de miser sur elle, sa capacité d’innovation, en particulier dans les quartiers populaires et le monde rural. »
Les jeunes d’aujourd’hui sont la France de demain. Autrement dit, la politique de demain doit être la leur. Pour cela, les politiques doivent davantage s’intéresser aux jeunes et les intégrer dans les débats comme l’explique la politologue Marie-Cécile Naves : « On considère encore que la jeunesse est dangereuse, égoïste et paresseuse, alors qu’elle est une richesse pour la société. »