INTERVIEW. En 1998, le monde du cyclisme international s’ébranle autour de l’affaire Festina, révélation d’une cellule de dopage au sein de l’équipe française en plein Tour de France. Antoine Vayer, entraîneur de cette même formation, à l’avant-garde de ce qu’il se concoctait en terme de préparation physique, deviendra l’une des grandes voix de la lutte antidopage et défenseur d’une éthique sportive. Il est l’auteur du magazine Tous dopés, la preuve par 21 et intervient sommairement dans les pages du Monde. Worldzine a pu, peu avant le départ de la Vuelta (qui a démarré le 19 août dernier à Nîmes, ndlr), échanger avec Antoine Vayer pour évoquer le cyclisme, ses grandes compétitions et ses déviances encore d’actualité.
Worldzine – Avant toute chose, le cyclisme sans dopage, une illusion comme on semble l’entendre parfois, ou une simple réalité ?
Antoine Vayer – Bien sûr que non ! C’est complètement possible. C’est une idée véhiculée par les ignorants et ceux qui ont intérêt à ce que cela continue. Et cela gagne en crédibilité, un peu. C’est sur un fil tendu néanmoins. Mais la volonté « politique » n’est pas affirmée, encore moins les moyens et les bonnes personnes pour que cela soit « sain ». Tant que ceux qui ont créé le problème et qui n’ont pas parlé vraiment sont aux rênes du cyclisme et à l’écran… cela ne peut être satisfaisant.
W – Le Tour de France continue à avoir lieu, on a pourtant une légère impression, à le regarder à la télé, que tout se passe pour le mieux, avec moins de condamnés pour dopage. On a eu les années noires (Armstrong – affaire Puerto – Rasmussen – Landys – Contador) et aujourd’hui, on se trouverait presque depuis 5 ans, dans une époque où le cyclisme a compris la leçon. Ulrich affirmait récemment d’ailleurs que les « années sombres sont terminées. » Qu’en est-il au final ?
A.V. – Sur le Tour, cela va mieux, c’est certain. On peut dire à un ado de grand talent qu’il aura des chances de briller. Maintenant, personne ne le dit trop fort. Devinez pourquoi ? Le travail n’est pas terminé et les choses sont réversibles. Il en reste que les performances n’ont plus de démesure.
W – Aujourd’hui le dopage se résume t-il encore aux procédés de transfusion des poches de sang que l’US Postal pouvait administrer à ses cyclistes ou a t-il évolué avec son temps, s’avérant indétectable, plus discret ?
A.V. – Tout est encore possible et en stock. Les vielles recettes peuvent fonctionner avec des nouveautés différentes. Aucun coureur n’est certain que ce qu’ ils ne feront pas ne sera pas fait par d ’autres concurrents. Et puis, tramadol, caféine, corticoïdes, hormones de croissance, etc. c’est possible. Ce qui est nouveau, c’est que des coureurs pensent que ce n’est plus pour eux, malgré les tentations et certains entourages. Il faut résister… Comme au bar, si tu ne veux pas boire de l’alcool.
A.V. – Oui. Et Cancellera, Froome, Contador and co. n’ont plus rien à craindre…Parce que c’est maintenant surveillé ! Les roues aussi.
W – Sur ce Tour de France, l’équipe Sky Pro Cycling a encore alimenté les questionnements quant à sa probité sportive en terme de méthodes de travail, de produits consommés. Froome, après 4 titres sur la Grande Boucle, rappelle, sans le vouloir, Armstrong 15 ans plus tôt. La suspicion traîne aussi parmi ses coéquipiers : Geraint Thomas, Kwiatkowski ? Outre une capacité athlétique normale ou non, qu’est qui rend un cycliste suspicieux ?
A.V – Ses performances, sa façon d’être. On sait qui, on sait pas quoi. Non ?
W – La Sky, au-delà des choses avérées à leur sujet, ne souffre t-elle pas d’un délit de sale gueule aux yeux du grand public, parfois rattachée à leur très médiatisé et sulfureux manager Dave Brailsford, quand de grosses écuries ne sont pas aussi transparentes dans leur fonctionnement. Va t-elle plus loin que les autres ? Ou c’est son visage triomphant qui la discrédite ?
A.V. – Dave n’a rien de sulfureux. Je communique pas mal avec lui. Un de ses buts serait d’avoir un Français dans son équipe qui gagne le Tour. Lui et son équipe ne sont pas populaires, en Angleterre compris. Mais ils donnent la leçon avec leur style froid et méthodique et leur moyens au dessus des autres. Cela ne peut qu’énerver.
W – Si le dopage, même à petite dose, est devenue la norme, pourquoi ne pas s’adapter avec ? Serait-ce le signe d’un aveu de défaite de la part des instances du cyclisme mondial ?
A.V. – Légaliser le dopage, ce serait de la barbarie. C’est déjà limite au niveau des droits de l’homme pour certains sports.
W – L’UCI ne se contredit-elle pas quand il s’agit de faire d’un Armstrong, dont elle en avait fait le symbole du renouveau post-Festina, un martyr et un tricheur ? Aussi, la collusion entre Brian Cookson, président de l’UCI, et la Sky ajoute au débat sur un apparent laxisme de l’institution envers ses champions.
A.V. – Cookson a juste temporisé et évité certains scandales. Il a fait le minimum. Mais il a été nul. Il avait une super chance. L’UCI devrait être en mesure de dire « Froome est propre, la Sky, No Problem ». Il n’a pas restauré du tout la crédibilité du cyclisme. Regardez vos questions et allez parler dans un bar en Belgique ou en France… Le public n’est pas con, et a une bonne lucidité critique.
W – C’est vous qui avez théorisé et mis en pratique le calcul de performances avec Frédéric Portoleau au watt-étalon. Vous y avez défini des seuils mutants et réalisables de puissance sur vélo. Ces seuils de performance dite mutante (notamment 430 watts-étalons sur des cols) prennent-ils en compte des performances hors-normes toutefois propres ?
A.V. – Oui. Mutant c’est 450 watts étalons dans des cols longs de plus de 20 minutes et à plus de 7% de dénivelé sur la fin d’étape – de montagne par exemple supérieure à 5 heures de course. Pas de perf’ propres à ce niveau dans notre classification et des conditions que nous mesurons. Ce n’est pas possible.
W – Les performances évoluent constamment avec leur temps, et si Armstrong, dopé avéré, pouvait être rattrapé par ces capacités par des coureurs totalement propres ? À titre d’exemple, la natation voit bien ses nageurs revenir sur les records réalisés en combinaison polyuréthane aujourd’hui interdites.
A.V. – Non. C’est de la connerie. Cela ne peut évoluer. Faut pas déconner. Plus de coureurs peuvent s’approcher des 410 watts étalons en moyenne dans les radars de Grands Tours, mais les coureurs à 420, 430, c’est d’ailleurs fini, doivent revenir vers 410 pour que ce sport soit crédible. Sinon, ils trichent.
W – Comme l’affirmait l’ex-coureur américain au Monde il y a quelques années voire Floyd Landis l’an passé avec vous, impossible, donc, de gagner le Tour sans dopage ?
A.V. – Je ne crois pas à cet avènement, sauf circonstances exceptionnelles comme avec Péraud et Pinot, respectivement second et troisième en 2014. Mais les favoris avaient abandonné ou étaient tombés, sauf Nibali qui a gagné avec tant d’avance et tant de trop plein de watts. Dailleurs, je ne crois pas qu’il puisse , comme Froome, revenir à ce niveau. Pourquoi ? Parce que ils sont mieux surveillés, eux et leurs vélo… C’est un bon point. Mais on peut encore mieux surveiller, eux et d’autres. C’est cela la réalité. Le boulot n’est fait qu’à moitié. Saint-Just l’a très bien dit, « faire la révolution à moitié, c’est couper sa tête ».
W – Contador, chez qui on a détecté des traces de clenbutérol, suspendu par la suite et qui a toujours clamé son innocence face à la prise de produits dopants, n’est il pas le symbole d’une lutte antidopage complexe et perfectible ?
A.V. – Ah oui, lui, il est tombé mais passé entre tant de mailles du filet qui sont lâches, preuve en est… surtout en Espagne…
W – Sa retraite est-elle une aubaine pour l’ICC ? Était-il un fardeau, vestige d’une ère sombre du cyclisme ?
A.V. – Il fait partie des vestiges, mais n’y en a-t-il pas tant, encore, qui dirigent les équipes ?