SOCIÉTÉ. Cet été, la mort de plusieurs torero, notamment Ivan Fandino, avaient réouvert le débat sur la corrida, qui s’est estompé au fil des mois. Cette tradition, bien que très contestée, subsiste toujours. Avant Ivan Fandino, les derniers décès dans une arène étaient le matador espagnol Victor Barrio le 9 juillet 2016 et le Mexicain El Pana le 2 juin 2016. Hormis ces deux accidents dramatiques, la mort d’un torero à l’étranger remonte à 30 ans. Il est important de préciser que ces derniers accidents se sont déroulés à l’étranger. En France, le dernier mort remonte à 1921 avec Isidor Mari Fernando, matador espagnol, qui est décédé dans l’arène de Béziers.
Un jeu traditionnel dont l’origine remonte au Moyen Âge
Ce rituel autour du taureau est issu du milieu de la noblesse qui organisait des chasses aux taureaux ou des joutes équestres où le but était d’attaquer le taureau à l’aide d’une lance. Ce jet de javelot nécessitait une grande force de la part du lanceur et impliquait donc la reconnaissance et l’admiration du public, qui assistait à cette mise à mort lors de fêtes patronales ou de victoire. Au fil des siècles, ces « jeux taurins » évoluent et la place du torero s’est créée.
La noblesse utilise ses valets pour distraire le taureau lorsqu’ils changent de cheval lors de combats, qui sont les ancêtres de la corrida portugaise moderne, où chaque cavalier est muni d’une lance. Le rôle des valets prend de l’importance et, au fur et à mesure, ils devront éloigner le taureau à l’aide d’une cape, l’ancêtre de ce que l’on appelle aujourd’hui la capote. Puis les années 1910-1920 représentent l’Âge d’or de la corrida avec des personnalités comme Rafael Gonzalez Madrid, Ricardo Torres Reina ou encore les deux rivaux José Gomez Ortega et Juan Belmonte. Ce dernier attribuera de nouvelles règles au torero, comme celle de l’immobilité puisque jusqu’alors le torero pouvait reculer lors de la charge du taureau. Juan Belmonte, quant à lui, inculque l’obligation à l’homme de garder sa place et de dévier la charge.
Des décennies et une multitude d’acteurs ont donc contribué à la création de la corrida qui, malgré les contestations, garde de l’importance avec plus de 1800 spectacles par an en Espagne, qui réunissent près de six millions de spectateurs. En France, 66 villes dans 11 départements du sud organisent toujours des corridas grâce aux subventions publiques. Les corridas sont toujours autorisées puisqu’elles conservent un statut de « tradition » et jouissent ainsi d’une immunité grâce au décret de 1959 qui, sans plus de détails, précise que « la tradition doit être locale et ininterrompue ».
Par ailleurs, l’existence de la corrida a beau dater du Moyen-Age, la tradition et les raisons de son engouement restent presque identiques. Les spectateurs viennent avant tout admirer le courage de l’homme, la bravoure de l’animal, l’autorité de l’homme sur l’animal, l’élégance du torero et enfin l’efficacité de la mise à mort qui, si elle n’est pas assez brève, peut facilement dégrader la qualité du spectacle entier.
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Thomas, âgé de 21 ans, est né à Toulouse et a déjà assisté à cinq corridas dans sa vie. La dernière à laquelle il s’est rendu remonte à l’année passée lors de la Feria Dax. La corrida est bel est bien une histoire de tradition et d’héritage, c’est ainsi que Thomas en a fait la découverte : « c’est mon père qui adore tout ce qui touche à la corrida, moi je n’ai jamais été pour ou contre. C’est une question de culture et quand on explique bien comment ça fonctionne, en quoi ça consiste et ce qu’il y a autour, c’est là qu’on y prend goût et qu’on comprend l’intérêt de ce spectacle même s’il y a toujours des mauvaises corridas« .
Seuls des professionnels peuvent accéder aux arènes, les toreros sont des hommes entraînés et rémunérés pour pratiquer cet art qui touche à la performance sportive. Mais c’est cette ambiguïté qui fait le succès des spectacles et qui attirent les passionnés, « la corrida, c’est toute une ambiance et surtout, ce qui est fascinant, c’est l’homme face à l’animal« . L’animal, un taureau qui sera élevé en plein air et en liberté jusqu’à son départ pour l’arène. Celui-ci aura vécu dans un isolement presque total et ne verra un homme à pied qu’une fois dans l’arène car les éleveurs ne circulent qu’à cheval ou en véhicule, l’objectif étant d’obtenir des taureaux avant tout « braves ». Autrement dit, qui réagiront à la moindre provocation. La corrida représente tout un rituel autour de l’animal et oblige une certaine élégance de la part du torero, « il y a la beauté du geste à reconnaître, quand l’homme fait tourner le taureau c’est assez beau à voir et très impressionnant. La corrida c’est vraiment spécifique et culturel c’est pour ça que ça ne peut pas plaire à tout le monde. Mais certains anti corridas qui luttent contre la souffrance du taureau se doivent d’être cohérents et ne pas se réjouir de la mort d’un torero« .
Un chemin semé d’embûches pour l’abolition de la corrida
En dépit du nombre de spectateurs de la corrida, les opposants à cet acte, souvent qualifié de barbare, sont de plus en plus nombreux. Selon un sondage de l’IFOP/Alliance Anti corrida, 73% des Français souhaitent l’abolition de la corrida.
En octobre 2017, Jean-Pierre Garrigues, alors président du Comité Radicalement Anticorrida (CRAC) avait annoncé la dissolution de l’association. Le CRAC, qui constitue la plus ancienne association française spécialisée dans cette lutte, a été repris par des soutiens et est aujourd’hui présidé par intérim par Didier Bonnet, après le récent décès de Jean-Pierre Garrigues. L’objectif reste le même : abolir la corrida en mettant en parallèle une volonté de protection de l’enfance face à ces actes barbares et sanglants.
Le comité compte désormais quelques victoires et parvient à se faire entendre. Avec l’aide de l’association Droits des Animaux, il obtient la radiation de la corrida du patrimoine culturel de la France le 27 juillet 2016. Auparavant, au début de l’année 2016, le CRAC obtient une recommandation officielle de la part du Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU qui est contre l’accès des mineurs aux corridas en France. Ainsi, sur les 8 pays dans le monde qui pratiquent la corrida, le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU a recommandé de tenir les enfants à l’écart de ces spectacles.
Le CRAC lutte activement contre les écoles taurines qui sont au nombre de cinq dans le Sud de la France. Ces associations sont financées par les mairies, le conseil général et régional et organisent leurs activités les mercredi et samedi après-midi. Le but de ces activités est de former les enfants dès l’âge de 7 ans par des entraînements sur une sorte de brouette munie de cornes. Jean-Pierre Garrigues expliquait, dans une interview pour Paris Match, que la protection de l’enfance était un réel enjeu dans cette lutte pour l’abolition de la corrida « afin que les gamins ne soient plus initiés à la barbarie dans ces écoles du crime ou traînés dans les corridas« .
En France le combat continue et prend de l’ampleur grâce au CRAC, qui n’est pas peu fier de mettre en avant que Nicolas Hulot, ministre d’État, est signataire du manifeste abolitionniste de la corrida depuis 2004. Tandis qu’en France le mouvement évolue et convainc des personnalités, en Espagne le débat stagne voire recule. La Catalogne avait interdit la corrida dans sa région depuis 2012 mais l’État espagnol conteste cette décision en octobre 2016, ce qui autorise de nouveau les spectacles.