Chanteur, musicien et arrangeur, Albin de la Simone suit depuis quinze ans un cheminement très personnel dans le monde de la chanson française, loin des sentiers battus. À travers cinq albums, il nous emporte dans un univers sensible et mélancolique fait de femmes, d’hommes, de sentiments, de temps qui passe. Dans son dernier opus, « L’un de nous », sa voix douce et feutrée nous conte des histoires d’amour malmenées par le temps. WorldZine a rencontré cet artiste au charme discret, à l’aube de sa tournée.
WorldZine : Comment en êtes-vous venu à jouer de la musique, puis à chanter ?
Albin de la Simone : Ce sont deux histoires différentes. Je joue du piano depuis toujours, c’est quelque chose de complètement naturel, qui s’est fait tout seul. Mon père était musicien, il y avait toujours des instruments à la maison… Par contre, je me suis mis à chanter beaucoup plus tard, à trente ans. Je n’en rêvais pas, je ne chantais pas sous la douche… c’était pas mon truc ! Mais je me suis aperçu que dans ce que je faisais, il manquait les mots. J’ai ainsi basculé du jazz, de la musique instrumentale, à la chanson.
On parle souvent de vos collaborations prestigieuses : Vanessa Paradis, Alain Souchon, Jean-Louis Aubert… Ces artistes font partie de vos inspirations musicales ?
Bien sûr ! Mais mes inspirations sont très larges : musique classique, pop anglaise… J’écoute des tas de choses très différentes, il n’y a pas un style dont je peux dire « j’aime pas ça ». C’est très nourrissant tout le temps, la musique. Et comme je ne suis pas enfermé dans un style, musicalement je me sens assez libre, je peux aller à peu près partout.
Toutes vos chansons parlent-elles de vous ? Dans l’album « Un homme », vous racontiez vos angoisses de quadragénaire et de futur papa…
Elles parlent toutes de moi, mais pas forcément directement. Ça peut être quelque chose qui m’intéresse, ou qui m’inquiète, qui m’intrigue… Dans l’album précédent, « Un homme », il y a une chanson qui s’appelle « Mes épaules », et c’est vraiment les thématiques qui m’entouraient à ce moment là. Mais quelques fois, je ne suis pas le personnage, comme dans la chanson « Embrasse ma femme » sur le dernier album, ou c’est l’histoire d’un mort qui parle aux survivants et qui leur demande d’embrasser sa femme et ses enfants qu’il aimait tant. Lui a dérapé, il avait pleins de projets mais il a été fauché… donc forcément, c’est pas du vécu, mais c’est un truc auquel je pense.
Pourquoi écrivez-vous toujours à la première personne du singulier, même quand vous parlez d’histoires qui ne sont pas les vôtres ?
Parce que c’est plus fort, l’impact est plus grand. J’exprime des sentiments, des sensations, donc je parle à la première personne pour qu’on puisse plus facilement rentrer dedans, et que moi-même je puisse me balader à l’intérieur du personnage. Si je raconte l’histoire de quelqu’un en disant « il » ou « elle », je resterais toujours en dehors, même si je sais très bien à qui je pense quand je les raconte.
Votre dernier album, « L’un de nous », évoque les sentiments amoureux, le couple. Qu’avez-vous cherché à exprimer ?
Dans le dernier album, je me suis demandé : comment on fait durer l’amour ? Comment on fait quand on a 45 ans, qu’on est en couple depuis longtemps, qu’on a un enfant, une maison, qu’on devient vieux ? Comment on résiste à la tentation de tout changer, de tout plaquer ? Cette image de l’amour du début, fulgurant, étincelant, dingo, est la seule image véhiculée dans les films. Ça existe évidement, et je le raconte dans la chanson « Le grand amour ». Mais en général, assez rapidement, ça change… Ça se complexifie, on a des doutes… C’est intéressant parce que j’ai envie, je suis motivé, mais je sais que c’est compliqué. C’est une vraie charnière, là ou je suis.
Vos deux derniers albums ont chacun une identité qui leur est propre, en terme de style et de thème. Ils donnent le sentiment d’une plus grande cohérence que les trois premiers.
C’est effectivement beaucoup plus cadré depuis mon album « Un homme ». Avant, je faisais des disques ou il y avait une chanson comme-ci, une chanson comme-ça… Le style était très différent dans chaque titre ! Il se trouve qu’avant « Un homme » j’ai changé de maison de disque, et j’ai enfin eu affaire à une directrice artistique qui m’a vraiment fait réfléchir, et aidé à homogénéiser ma pensée, mon album. Je me rends compte que quand j’écoute un artiste, je n’ai pas envie de me faire balader entre trois-mille humeurs différentes ; j’ai envie de rentrer dans une matière, dans une ambiance. Donc maintenant, j’essaie d’être cohérent, de définir un son et d’enfiler un costume pour l’ensemble du disque.
Comment composez-vous ? Pour écrire les chansons de l’album « Bungalow », vous êtes parti passer du temps en Indonésie. Vous avez besoin de vous éloigner, de voir d’autres choses, pour trouver l’inspiration ?
Pas forcément ! J’ai juste besoin d’isolement. Parfois, ça peut se faire chez moi, mais il y a vite le téléphone qui sonne, j’ai une famille, un enfant, j’habite à Paris… Je n’arrive pas trop à me concentrer, à m’arrêter, parce que j’ai une vie assez trépidante. Donc je m’enferme quelque part. Ça peut très bien être dans une maison du Berry, ou un mois à Bali. C’est comme ça que me retrouve à voyager, mais je n’ai pas besoin de voir des cocotiers pour écrire. C’est juste un besoin de solitude, et d’être focalisé sur l’écriture.
Vous écrivez et composez facilement ?
Les textes, je bloque. Ça me rend dingue. Une fois, j’ai voulu écrire une chanson : elle m’a obnubilée pendant deux ans, et finalement elle n’est même pas sur l’album ! La musique, ça vient plus facilement, parce que j’ai plus de vocabulaire, je suis plus à l’aise. Je peux faire vingt-cinq mélodies, mais sans jamais être sûr que c’est la bonne. Le flux est continu, il y a toujours de la musique dans ma tête, c’est plutôt quelque chose à canaliser. Alors que les mots, c’est quelque chose à construire. Je pars de rien, et j’ai peur. Encore une fois, c’est un langage qui m’est venu seulement à trente ans…
Est-ce que l’inspiration vient plus vite aujourd’hui, après 5 albums ?
Non, c’est l’inverse ! Au début, ça venait vite, il y avait une vraie insouciance, une vraie liberté. C’était moins précis. Aujourd’hui, je suis beaucoup moins libre, tout ce que j’ai dit, je n’ai pas envie de le redire, donc l’étau se resserre. Mon écriture est plus précise, plus cadrée et plus forte, mais elle me demande dix fois plus d’efforts. J’ai beaucoup parlé de ce problème avec d’autres chanteurs, et Alain Souchon notamment, me dit que pour lui aussi, à 70 ans, c’est de pire en pire. Il galère comme un chien pour écrire, alors qu’avant ça venait facilement.
Comment se sont passé la composition et l’enregistrement de votre dernier album ?
Pour moi, l’écriture et la musique sont complètement indépendantes. Je commence par faire les textes, en faisant attention aux nombres de syllabes, aux rimes… Je cherche la mélodie et l’instrumentalisation ensuite. Le texte s’adapte aux musiques. Et pour cet album, j’ai choisi d’enregistrer d’abord la partie voix et piano avant de construire les arrangements.
Quel rapport entretenez-vous avec votre voix ?
Je détestais ma voix au début, je n’étais pas à l’aise. J’essayais de l’emmener à des endroits ou elle ne pouvait pas aller, parce que je voulais qu’elle soit autre. C’est encore une fois depuis mes deux derniers albums que je commence à l’accepter. C’est comme mon visage, mes cheveux, mon corps, mes épaules… De toute façon, on est comme ça, donc soit on se bagarre, on se déteste tout le temps, soit on s’accepte. Depuis que j’ai arrêté de lutter contre ma voix, que je l’ai accepté telle qu’elle est, avec ses faiblesses, j’arrive mieux à m’en servir et je la préfère. Et j’adore chanter !
Votre dernier album a été particulièrement bien accueilli par le critique. Vous avez notamment obtenu les 4 F de Télérama, et été nommé aux Victoires de la musique pour l’« album de chansons » de l’année. C’est important pour vous d’avoir des retours positifs de la part de professionnels ?
Oui, c’est très important. Ce serait snob et faux de dire que j’en ai rien à foutre. Une mauvaise critique, ça peut nous hanter, ça peut vraiment nous remettre en question. On peut lire des trucs qui viennent nous frapper, vraiment. Les journalistes ne se rendent pas compte, parfois, de leur pouvoir de destruction de l’âme d’un artiste.
A l’inverse, obtenir des bonnes critiques ou des récompenses, c’est extrêmement gratifiant. Être nommé aux victoires de la musique, avec les Brigitte et MC Solaar, c’est vraiment chouette. Parce que c’est des pros qui ont voté ! Ça m’a tellement touché, tellement ému d’imaginer que des directeurs artistiques, des ingénieurs du son, aient nommé mon album meilleur « album de chansons » de l’année… Je me suis aperçu que oui, c’était très important.
Subtil et stylé, Albin de la Simone continue de nous enchanter https://t.co/NMohRxiWIm pic.twitter.com/iMHHI8rhzm
— France Inter (@franceinter) February 7, 2018
Quel type de public vous écoute ?
En concert, je vois des gens entre 30 et 50 ans, avec leurs enfants parfois. Hier soir encore, il y a eu un garçon hyper mignon, hyper sympa, qui est venu me parler, me demander des autographes… il connaissait les paroles par cœur ! Ça fait tout drôle !
Est-ce que vous vous imaginez faire de la chanson toute votre vie ?
Je ne sais pas. Peut être que j’en aurais marre un jour. Comment on fait une quinzième tournée dans des salles comme ça ? Si ça n’évolue pas, j’imagine qu’on peut en avoir ras-le-bol. Pour l’instant j’adore, mais peut-être qu’un jour ça changera…
Quels sont vos projets pour les semaines, les mois qui viennent ?
Sillonner la France et faire quarante-cinq concerts jusqu’au mois d’avril ! Je suis aussi artiste associé au Théâtre National de Bretagne, à Rennes. A la fin de la tournée, je vais commencer à avancer sur des projets hors chansons. Exposition-spectacle, des trucs un peu hybrides. Je fais aussi une expo de dessins aux Francofolies de la Rochelle, cet été. Tout ça me permet aussi d’être heureux de revenir à la chanson !
A noter : Albin de la Simone défendra son dernier album « L’un de nous », pour le titre de meilleur « album de chansons » de l’année, lors de la 33ème édition des Victoires de la musique, vendredi 9 février.