Samedi 29 septembre, à Nantes, plus d’un millier de manifestants ont défilé pour la réunification de la Bretagne historique, à cinq départements. Un an après le référendum catalan autogéré, les bretons réclament leur droit citoyen de décider, de voter. Une cause soutenue par la solidarité internationale.
Nantes, 14h30, au miroir d’eau. Des grappes de manifestants, venus seuls, entre amis ou en famille, commencent à se former. Les musiciens s’échauffent et font sonner les bombardes. Concentrés, trois hommes se sont écartés de la masse naissante. En cercle, ils s’accordent, soufflant dans leur instrument. Rapidement, les sons se répandent dans toute la place. Un air de cornemuse écossaise et de biniou breton s’échappe dans les airs.
Les drapeaux filtrent le soleil de fin d’été. Au milieu du flot des Gwenn ha Du (drapeaux bretons), apparaissent petit à petit des drapeaux multicolores. On reconnaît le drapeau catalan, le drapeau kurde, le drapeau kanaky ou encore le drapeau irlandais… En arrière-plan : le château des ducs de Bretagne. C’est dans la cour de ce même château, qu’est gravée dans la pierre une plaque commémorative de l’union de la Bretagne à la France, en 1532. Que dirait Anne de Bretagne en voyant les manifestants d’aujourd’hui ? On entend soudain au microphone : « La réunification de la Bretagne est un sujet d’avenir ! La jeunesse venez devant ! » Le cortège démarre.
« Nous voulons voter ! Nous voulons décider ! »
C’est le collectif 44=Breizh qui est à l’origine de la manifestation. Cette dernière est le point de « départ d’une nouvelle campagne, avec de nouvelles bases et de nouveaux mots d’ordre » explique Tanguy, trentenaire engagé. Le collectif souhaite redynamiser la cause et engendrer une rupture dans la manière de militer. Depuis 1972, où les régions deviennent des établissements publics, les militants veulent que la Loire Atlantique retrouve la région Bretagne. En 2015, la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) relance le débat. La jeunesse s’empare alors de nouveau de la question de la réunification. Décidons en Bretagne est lancé.
A Nantes, samedi, la jeunesse était en tête de file. À coup de slogans, elle a déambulé dans les grandes avenues. « Nous voulons voter ! Nous voulons décider ! » De temps en temps, un manifestants sortait de la procession pour coller sur les lampadaires, bancs et arrêts de bus des stickers « Naoned e breizh », Nantes en Bretagne. Des fumigènes rouges contrastaient dans le ciel bleu. Parmi eux, Ismael de Bak E Brezhoneg, une collectif qui milite pour le droit de passer les épreuves du baccalauréat en breton. Il estime que « l’identité bretonne est vécue dans les cinq départements, alors il est légitime que le peuple décide. C’est important de manifester pour la réunification car c’est un tout. » Selon lui, des plus en plus de jeunes se mobilisent pour l’avenir de la Bretagne, ce que traduit un besoin de « retrouver son identité et de s’exprimer. »
Dans la lignée des catalans
S’exprimer, c’est ce qu’a voulu faire le peuple catalan, il y a tout juste un an. En milieu de cortège, sept personnes défilent derrière une banderole où l’on peut lire : « En Bretagne, comme en Catalogne, c’est nous qui décidons ! » Langue régionale, un fort sentiment identitaire, une culture riche, nombreux sont les points communs entre les Catalans et les Bretons. Même si la question de l’indépendance ou de l’autonomisation n’est pas à l’ordre du jour et que les deux causes ne sont pas comparables, la manifestation nantaise revendiquait l’exemple catalan. Dans les deux cas, le peuple réclame que démocratie soit faite. Le peuple demande à s’exprimer. Le peuple veut voter. Le peuple souhaite décider. Le peuple exige un référendum.
Alors que la manifestation touche à sa fin et que les discours ont été clamés, les organisateurs appellent les manifestants à se saisir d’affiches en soutien aux indépendantistes, militants et politiciens catalans emprisonnés. Plusieurs dizaines d’hommes et de femmes s’alignent pour être photographiés par la presse. Les affiches laissent apparaître des visages. Puis ils applaudissent, fort, « pour que le bruit de ces applaudissements soit porté jusqu’à Barcelone » et pour que « les prisonniers entendent notre soutien. »
Tous (un peu) Bretons ?
Patrick Pichon est venu de Lorient manifester et par la même occasion il montre sa solidarité envers le peuple kurde. « J’ai greffé un drapeau du YPJ au centre de mon drapeau breton » explique le manifestant. Le YPJ, formé en 2013, est l’Unité de Protection de la Femme. Au départ cette brigade féminine était reliée au YPG (Unité de protection du peuple), branche armée du PYD le Parti de l’Union démocratique. Puis le YPJ est devenu un groupe armé indépendant en 2016. Ces groupes kurdes luttent pour l’autodétermination du peuple kurde quant à la question de leur territoire. « Même si je suis concerné directement par la question bretonne, il me semble important de soutenir d’autres peuples comme le peuple kurde » avance le Lorientais. Le Kurdistan est étalé sur quatre pays au contexte géopolitique complexe : l’Iran, l’Irak, la Turquie et la Syrie. « La lutte des bretons et le combats des kurdes sont dotées de certaines similitudes, notamment au sujet des désaccords de territoire » souligne l’homme tenant fermement son drapeau entre les mains. Sa hauteur le fait tanguer sous le vent. Et un peu plus loin, un drapeau du Kurdistan ondoie sous le soleil. Puis un autre du YPG vient s’immiscer discrètement dans la masse.
À côté, Mina Kherfi et Wakasu Haocas sont venus de Nouvelle-Calédonie. Le 4 novembre prochain, les néo-calédoniens seront appelés aux urnes. Ils devront répondre à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Ce référendum s’inscrit dans la lignée de l’accord de Nouméa, signée en 1988. Cet accord, ou processus de décolonisation par étapes, transfert certaines compétences administratives gérées par la France, vers les autorités de Nouvelle-Calédonie. Le référendum d’autodétermination est son issue. Selon une enquête du 3 octobre, 66% des personnes exprimant un choix de vote déclarent leur intention de glisser un bulletin « non » dans l’urne, quand 34% privilégient un vote « oui ». Ce que ne prédit pas le sondage, c’est le taux l’abstention. Mina Kherfi, représente le parti travailliste kanak qui appelle au boycott du référendum, jugé comme une “farce électorale”. Ils pointent du doigt la proportion minime du peuple kanak votant (39%), laissant le sort du vote entre les mains de la population non kanak, le référendum n’étant alors plus autodéterminé. Wakasus Haocas parle de « soutien réciproque entre les deux territoires », qui vivent, selon eux et chacun à leur manière, une forme d’oppression et de vol de leur identité autochtone.
C’est au tour des représentants d’Irlande du Nord d’apparaître. Leur porte-parole, un colosse roux à l’anglais chantant, témoigne la compassion que le peuple irlandais a envers son cousin breton. « Une nation occupée ne vit qu’à moitié. Il faut continuer et encourager nos enfants à se mobiliser, il faut continuer d’être fiers de notre culture ! »
« Notre pays reste toujours le même dans nos cœurs. »
Une heure trente plus tard, le défilé est de retour devant la résidence de François II de Bretagne. Deux jeunes femmes montent à l’arrière d’un camion recouvert d’affiches revendicatives. L’une parlera en Breton, l’autre en Français. Elles rappellent le mot d’ordre du jour : le droit d’un peuple à décider de son propre sort. Elles parlent de « réformes ratées » qui n’ont cependant pas réussi à changer l’âme de la Bretagne. Un référendum local et auto-géré pour le rattachement de la Loire-Atlantique à la région Bretagne est réclamé. Un appel à manifester est renouvelé : rendez-vous à Rennes, le 8 décembre.
Les luttes bien que distinctes, tantôt pour l’autonomie, tantôt pour l’indépendance ou la réunification, viennent finalement se rejoindre. Tous les militants présents, quelle que soit la cause soutenue, quel que soit le combat mené, sont en accord sur une chose : le peuple doit reprendre un pouvoir de décision, doit être écouté et peser davantage dans les débats politiques. Dans la bonne humeur et la détermination, bro goz ma zadou, l’hymne breton, est entonné par les manifestants de tous les horizons.
En complément : Parallèlement une pétition a été lancé. Si elle atteint 100 000 signatures, ce qui correspond aux 10% du corps électoral de la Loire Atlantique, le conseil départemental sera obligé d’inscrire à l’ordre du jour une session sur le sujet. Pour le moment 80 011 signatures ont été recueillies.
Par Laureline Pinjon et Malika Barbot.