Yvon Le Men, poète et écrivain breton, accueille tout au long de l’année des poètes des quatre coins du monde. Ses rencontres mêlent témoignages personnels et œuvres poétiques. Le 22 novembre, il recevait Hala Mohammad, poétesse et réalisatrice syrienne en exil, à la librairie Bel Aujourd’hui de Tréguier.
Assis côte à côte sur une petite estrade, les deux poètes se répondent. Elle en arabe, lui en français. La salle est comble. L’auditoire semble s’accrocher à chaque mot. Même avec la barrière de la langue, l’émotion passe à travers les vers arabes. Ces sons chantants, si étrangers à la langue française, transportent les spectateurs bien loin de l’hiver breton. La traduction qui suit leur fait comprendre le sens de leurs émotions.
Prête-moi une fenêtre
Ses cheveux épais couleur ébène encadre son visage gracieux. Hala Mohammad se tient symétriquement à Yvon Le Men. D’un air nostalgique, elle entame la rencontre en parlant des fenêtres syriennes. Ces fenêtres toujours ouvertes vers « l’extérieur mais aussi vers ce chemin qui mène à l’autre. » Avec passion, elle parle de cette culture syrienne, une « cuture de partage. » « Oui c’est ça, le partage c’est mon pays. Nous sommes une civilisation de partage » se confirme-t-elle à elle-même. Dans son livre « Prête-moi une fenêtre » (éditions Bruno Doucey, 2018), elle voulait parler de sa Syrie. Sa Syrie où « les bombes détruisent les maisons, détruisent les fenêtres. Où les bombes tentent de détruire l’âme de la Syrie, celle de se tourner vers l’autre. Où la dictature construit plus de prisons que d’écoles. Où la dictature ne veut pas prêter de fenêtres. Où la dictature ferme les fenêtres. » Mais pour elle, ces bombes, ne peuvent pas détruire l’art et la culture, les « racines sont plus ancrées que la dictature. » Alors Hala écrit. Elle demande de lui prêter une fenêtre.
Les premiers vers de son recueil s’adressent à sa mère, défunte il y a plus de 20 ans. « La maison a beaucoup changé / Après ton départ / J’ai changé / La Syrie a changé. » Hala Mohammad se représente sa mère tel un arbre « juste et aimant. » Elle voulait lui confier ce qu’il se passe en Syrie.
La Syrie : la honte sur la conscience de l’humanité
Le poète breton lui demande alors de parler de cette Syrie qu’elle chérit tant. Hésitante, elle demande : « sans pleurer ? » Hala se lance. Elle parle alors de « la Syrie d’avant et celle d’aujourd’hui ». Ses yeux se perdent parfois. Sa voix paraît chevrotante. Sa gorge semble se serrer. Elle parle à la deuxième personne du pluriel : « Nous. Nous, le peuple syrien. »
« Rien n’a de sens si on vous enlève l’humanité.
L’humanité est une philosophie.
Et ce qui se passe en Syrie : c’est une honte sur la conscience de l’humanité. »
Elle explique le coup d’état, les prisons, la révolution… Elle marque un temps d’arrêt dans son histoire, dans l’histoire de son pays. Elle reprend sa respiration. Souffle. « Quand j’en arrive après 2011, après les printemps arabes, je suis fatiguée… Je suis fatiguée car il faut parler d’espoir. On a perdu nos biens, on a perdu nos liens, on a tout perdu… Je ne sais pas d’où vient l’espoir, je laisse cette question suspendue. C’est peut-être pour l’espoir qu’il y a la poésie… »
« Tous mes poèmes : c’est moi »
Hala Mohammad existe à travers ses vers. Ses poèmes ne sont pas une lamentation, ils sont son témoignage. « Si un mot n’égale pas une vérité il ne faut pas l’écrire » affirme-t-elle. Ses œuvres sont à ses yeux une contribution à « la mémoire du peuple syrien qu’on essaye d’exténuer. » Ils parlent de l’exil, du mal du pays, de l’éloignement, de la perte de proches, du souvenir, du peuple syrien, de la culture syrienne et des trésors d’Alep et de Damas. « Des poèmes avec beaucoup de paix, alors qu’ils sont nés de la guerre » remarquera son homologue breton. Hala se laisse porter par les mots. Elle a mis plus de trois ans à réaliser son dernier recueil : « Il y a une vraie écriture physique » confie-t-elle « Il y a cette charge profonde qui m’envahit. Des fois, je résiste aux poèmes. C’est dur d’écrire. »
La poésie lui est venue par l’écoute des autres, et plus particulièrement des êtres silencieux qui la fascinent, car pour elle, la poésie, c’est avant tout « le défi d’écrire le silence. » Née en 1959 à Lattaquié, sur la côte syrienne, Hala Mohammad grandit dans une grande fratrie d’enfants. Baignée dans la littérature depuis toute petite, elle passait ses nuits à citer de la poésie avec ses frères et sœurs. Ensemble, ils interprétaient leurs propres pièces de théâtre sur le coffre de mariage de sa mère en velours rouge. Dans son recueil, côte à côte, se tiennent poèmes français et poèmes arabes où « tous deux ont la même âme. » Hala Mohammad connaissait Balzac bien avant de venir en France, et aujourd’hui, ses poèmes sont traduits dans la langue de Molière.
« Notre maison avait des fenêtres
Qui donnaient sur les cyprès et les peupliers
Qui empruntaient aux arbres leurs ombres
Et les arbres résonnaient de secrets
Lorsque les soldats voulurent
détruire notre maison
Ils furent terrifiés
De ne pouvoir lui infliger le moindre dégât
…
Nos vêtements
Les papillons les portent »
Prête-moi une fenêtre, Hala Mohammad -2018