François Philau, jeune réalisateur amateur qui avait fait le buzz en 2016 avec une vidéo sur le harcèlement dans le métro, vient d’achever une nouvelle production avec son équipe « The Good Mind ». Publié sur Youtube le 3 décembre dernier, le long métrage « Clic » entend dénoncer la culture du buzz sur Internet, qui pousse des vidéastes vers le macabre.
« Internet nous classe tous par popularité, certaines personnes sont prêtes à faire n’importe quoi pour gagner des « suiveurs » et c’est de pire en pire… Alors jusqu’où cette recherche d’estime peut-elle nous mener ? », c’est la question à laquelle a voulu répondre François Philau, jeune réalisateur rennais, à travers sa nouvelle production, « Clic ». Ce long métrage d’une heure nous fait vivre l’histoire d’une bande d’amis qui se mettent à faire des vidéos pour dénoncer des violences de rue à Rennes : racket, harcèlement, pédophilie… Peu à peu, dénoncer ne leur suffisant plus, les cinq amis décident de devenir des justiciers. Masqués, ils se filment en train de punir les coupables. Commence alors une véritable descente aux enfers.
Dénoncer « la culture du buzz à n’importe quel prix »
Les cinq personnages principaux sont en quelques sorte les acteurs de leur propre histoire. « Clic, c’est une mise en abîme de ce à quoi moi et mes amis avons été confrontés en tant que vidéastes amateurs, car même si certaines de nos vidéos ont marché, c’est éphémère… », explique François Philau. « Il y a tellement de propositions de vidéos sur le net que pour se démarquer, il n’y pas d’autre choix que de faire le buzz. On est obligé de s’y conformer, car sans buzz on n’est pas vu, et donc on n’existe pas. »
Il y a des gens qui sont réceptifs aux contenus violents, ça plaît parce que c’est intense.
Mais ce qui est spécialement dénoncé dans « Clic », c’est la culture du buzz « à n’importe quel prix ». D’après François Philau, les internautes seraient de plus en plus friands de vidéos agressives, violentes, preuve en est du nombre de vues qu’elles enregistrent. Des vidéos qui n’ont pas toujours pour but de dénoncer ou sensibiliser. À l’image de Logan Paul, un youtubeur américain qui a dépassé les 6 millions de vues en 24h en filmant un cadavre trouvé pendu dans une forêt du Japon. « Je pense que cette vidéo marque un moment important dans l’histoire de Youtube, l’entend-on s’exclamer derrière sa caméra. Personne n’a jamais pu filmer quelque chose de semblable jusque-là.» Une vidéo gratuitement choquante qui a créé la polémique. « Mais les youtubeurs le font parce qu’il y a des gens qui sont réceptifs derrière, souligne François Philau. Personne ne va assumer de regarder ces contenus, mais au final ça plaît parce que c’est intense. C’est un vice qui est caché mais validé, c’est la nature humaine. »
De la difficulté de percer sur Internet
Il aura fallu un an de travail à l’équipe de « The Good Mind » pour venir à bout de ce film. Entièrement réalisé avec les moyens de la bande de passionnés, sans comédiens professionnels ni équipe technique, il a été tourné en une semaine, en décembre 2017. Les trois parties du long métrage, « À la recherche du bonheur », « Les vengeurs » et « Le passager noir », sont disponibles sur Youtube depuis le 3 décembre dernier.
C’est au début de l’année 2016 que François Philau poste sa première vidéo : « Je n’avais aucune notion technique ou pratique, j’aimais simplement beaucoup regarder des films. » Il choisit d’évoquer des faits de société, de dénoncer des situations qu’il juge anormales : « C’est des sujets qui me touchent, qui m’inspirent. À l’époque, il y avait beaucoup de gens qui faisaient de l’humour sur Internet et je trouvais ça sympa d’apporter quelque chose d’autre. C’est pour ça que j’ai choisi de faire du dramatique. » Sa première production porte sur les attentats de Paris. Elle ne marche pas, mais le jeune homme persiste. S’ensuit une série de vidéos appelée « Dans la peau », qui nous plonge tour à tour dans la vie d’un migrant, d’un clochard ou d’une mère de famille, des personnages qui ont pour point commun d’être bousculés, agressés ou victimes d’injustice. L’épisode « Dans la peau d’une fille », qui met en scène un acte de harcèlement dans le métro, dépasse les 2 millions de vues en septembre 2016.
Pouvoir vivre des vidéos, c’est évidemment une finalité… mais il y a tellement de monde sur ce marché que c’est extrêmement difficile de se différencier.
Rejoint au fur et à mesure par plusieurs amis, François Philau a fondé le collectif « The Good Mind ». C’est sur leur temps libre que les cinq membres, qui sont aussi les cinq protagonistes de « Clic », produisent ces vidéos. « Mon métier, c’est agent immobilier, témoigne le réalisateur et producteur. Pouvoir vivre des vidéos, c’est évidemment une finalité, j’espère que ça arrivera un jour… mais il y a tellement de monde sur ce marché que c’est extrêmement difficile de se différencier. » Trois ans après le début de l’aventure et à l’heure de la sortie du premier long-métrage de « The Good Mind », des questions se posent sur l’avenir. « Ce qui nous manque aujourd’hui c’est le temps. On s’est épuisé à faire ça et ça ne nous a absolument rien rapporté, déplore François Philau. On a 900 abonnés sur Youtube, on ne fait rien avec ça. Alors est-ce qu’on continue à faire des vidéos sur Internet, ou bien est-ce qu’on essaye de trouver des boîtes de production ? », se questionne-t-il.
L’avenir nous dira quel choix le collectif a fait. En attendant, « Clic », qui commence par les images en noir et blanc des différents tournages de « The Good Mind », nous montre ce qui aurait pu arriver aux jeunes vidéastes s’ils avaient décidé de buzzer en filmant des violences. Une fiction révélatrice de la difficulté de se faire une place dans la masse de vidéos disséminées sur Internet, d’être reconnu pour son travail de vidéaste et de pouvoir en vivre.