SOCIÉTÉ. Après l’annonce par Agnès Buzyn d’EDEN, premier préservatif masculin remboursé par l’Assurance maladie à partir du 10 décembre 2018 sur prescription médicale, des voix se sont élevées pour relancer le débat sur le coût des protections périodiques. Ouverture d’un sujet tabou qui fait couler beaucoup d’encre.
Les règles d’une addition qui coûte cher
Au cours de sa vie, une femme a environ 2300 jours de règles. Selon l’Inserm, l’âge moyen des premières règles se situe à 12,8 ans et ces dernières durent jusqu’à la ménopause, aux alentours de 50 ans. Cet intervalle représente presque 45% de la vie d’une femme.
La LMDE a évalué qu’une femme utilisait à peu près « 22 tampons ou serviettes par cycle ». Cela équivaut à un budget de « 1500 à 2000€ au cours de sa vie ». S’ajoutent d’éventuels médicaments contre la douleur ou les vêtements intimes. L’addition s’avère vite salée, et ce, malgré le passage de la TVA sur les protections hygiéniques de 20 % à 5,5 %, au 1er janvier 2016. Diminution en partie liée à la campagne menée par le collectif féministe Georgette Sand.
Cette mesure paraît toutefois insuffisante. Certaines femmes déclarent avoir pensé à prendre ou déjà pris leur pilule contraceptive en continu pour ne pas avoir leurs règles et donc ne pas dépenser d’argent dans des protections. Prévoir un « budget règles » est une contrariété pour toute femme mais pour celles au budget serré ou inexistant comme les étudiantes ou les sans-abris notamment, cela peut même tourner au cauchemar. Jennifer, étudiante en médecine, le vit chaque mois. « C’est une perte totale d’argent et de temps », souligne-t-elle. « C’est même effrayant de voir la différence de prix entre différents supermarchés », déplore-t-elle, ajoutant que cela l’oblige à aller faire ses stocks dans « des magasins éloignés des grandes villes pour payer moins cher ».
Les conditions extrêmes des prisons, reflet du tabou social
Ces difficultés d’accès s’immiscent jusque dans nos prisons. En mars 2019, le Nouvel Obs a fait paraître un article édifiant, Précarité menstruelle : en prison, des femmes fabriquent des cups avec des bouteilles en plastique.
Dès son arrivée en milieu carcéral, tout détenu reçoit un « kit arrivant(e) » contenant normalement « un nécessaire d’hygiène » qui est « variant d’un établissement à l’autre ». Pourtant, selon les femmes interrogées, que ce soit dans les prisons de Rennes, Versailles ou Sequedin, la quantité (et la qualité) d’hygiène féminine disponible est insuffisante voire inexistante.
L’article insiste également sur le renouvellement de ce kit. Normalement tous les mois, pour les femmes « indigentes [dépendantes financièrement de l’administration] », avec de nombreux retards recensés. Les autres femmes doivent payer de leur propre poche avec des prix « identiques à ceux du commerce » ou même parfois « 60% plus élevés » pour avoir de la marque. Tout en subissant les mêmes retards, car les « bons remplis » ne sont traités « qu’une fois par semaine ».
Cette négation carcérale des nécessités féminines par une administration trop peu réactive et une logique financière douteuse met en lumière un tabou passé trop longtemps sous silence dans la société.
Un problème qui dépasse notre pays
Certains pays ont déjà pris à coeur ce sujet dans leur politique. En 2018, l’Écosse a été la première nation au monde à fournir gratuitement des protections hygiéniques aux élèves et étudiantes. À l’heure actuelle, de nombreux pays leur appliquent un taux de taxe nul comme le Liban, le Canada, l’Inde, l’Irlande ou le Kenya.
Pourtant, le problème persiste. En 2017, au Royaume-Uni, l’ONG Plan International a mené un sondage auprès de 1000 filles âgées de 14 à 21 ans. Au sein de cet échantillon, 1 femme sur 10 n’avait pas été en mesure de s’acheter des protections intimes, 15% ont connu des difficultés pour s’en procurer, et 12% ont dû improviser une protection à cause du coût trop important. En mars dernier, Metro publiait Girls to get free sanitary products in schools to end period poverty, dévoilant que 49% des interrogées avaient déjà raté un jour de cours pendant leurs règles. La cause ? Une incapacité à acheter des protections hygiéniques. D’autres ont expliqué avoir été obligées d’utiliser des chaussettes ou du papier toilette par manque de moyens.
Ces polémiques ont conduit Philip Hammond, ministre britannique des Finances, à réagir et promettre la fin de la « Period Poverty », notamment en s’inspirant du modèle écossais. Le problème avait pourtant déjà été soulevé quelques années avant. Des mesures avaient aussi été prises hors sphère politique. La chaîne de supermarchés britanniques Tesco avait décidé en juillet 2017 de prendre à sa charge le coût de la taxe de 5% (plafond minimum imposé par l’UE) sur les protections hygiéniques féminines.
Dans d’autres pays, la situation est plus alarmante. Les produits d’hygiène féminine sont encore taxés au taux maximal de TVA. C’est notamment le cas en Hongrie avec une TVA à 27%, en Allemagne à 19% ou au Luxembourg à 17%.
Quelles alternatives ?
Certains moyens de lutte sont déjà en place. La LMDE propose un remboursement des protections hygiéniques à ses adhérents. Une première chez les mutuelles. Pour cela, il faut envoyer la facture ou le ticket de caisse. Néanmoins, le remboursement reste partiel : 20 à 25 euros par personne et par an.
Diminuer ou supprimer la TVA sur les protections hygiéniques pourrait signer le début d’un changement. L’idée d’une TVA réduite ou à 0% pour les produits de première nécessité était d’ailleurs très populaire dans le Grand Débat National. Mais un décret européen de 1977 fixe son taux minimum à 5%, rendant donc actuellement impossible son application. Il semble pourtant exister des solutions. Elina Dumont, candidate aux élections européennes, déclare dans sa tribune à Libération vouloir une « TVA à taux zéro sur les protections périodiques en France », puis une « généralisation aux autres pays européens » par l’application de la « clause de l’Européenne la plus favorisée ». Ce processus éviterait ainsi des sanctions de l’Europe envers la France.
Entre coûts élevés et scandales sanitaires sur leur composition, les traditionnels tampons et serviettes ne semblent plus avoir la cote. Plus écologiques et économiques, des alternatives font aujourd’hui leur apparition : culottes de règles, serviettes réutilisables, ou encore les coupes menstruelles (cups). Réutilisables, elles permettraient de réelles économies. Sixtine, étudiante en économie, se dit convaincue par les culottes de règles : « plus confortables et écolo que les serviettes classiques, et puis c’est déjà dans mon placard, super pratique ! ». Avec un prix d’achat avoisinant les 20€ et une durée de vie située entre 5 et 10 ans pour la cup, le calcul est vite fait. Mais si ces alternatives permettent de réduire les dépenses, les politiques mettent bien plus de temps que la durée de vie d’une cup à amorcer un véritable changement face à ces inégalités.