BIG DATA. Le Parti communiste chinois s’apprête à lancer à l’échelle nationale son sytème de notation citoyenne, tandis que les pilotes du Système de Crédit Social (SCS) sont testés sur une partie de la population chinoise depuis 2014. Plus aucun Chinois ne pourra y échapper dès 2020.
Attribuer des bonus et malus, c’est toute la mission du Système de Crédit Social (SCS). Encore en phase d’expérimentation, le projet concernera 1,418 milliard de personnes. Son but : façonner un homme à la botte du gouvernement, tout en matérialisant à quel niveau il est possible de lui faire confiance. Comportements éco-financiers, moraux et sociaux, tout est enregistré, pour à terme être exploité, évalué et noté.
Pour ce faire, l’État a incité collectivités locales et entreprises privées à lancer leurs propres prototypes de notation. Loin d’être unifié donc, le projet global repose pour l’instant sur une quarantaine d’initiatives publiques et huit pilotes privés. 80% du marché (en termes d’utilisateurs) sont d’ailleurs détenus à ce jour par les entreprises commerciales. En tête, l’application pour smartphone Sesame Credit du groupe Alibaba. En participant au projet, le groupe espère surtout contrôler les habitudes d’achat de ses clients — via ses filiales bancaires (Alipay et MYbank) ou de vente en ligne (Alibaba et Tabao) — pour rationaliser ses propres pratiques de vente et ainsi maximiser ses profits. Une notation qui repose ici sur la base du volontariat, ce qui n’est pas le cas avec les pilotes publics.
Une politique de la carotte et du bâton
A priori, la Chine est un pays où il ne fait pas bon vivre pour les honnêtes gens. C’est tout du moins ce que tente de laisser croire le gouvernement. Tous les Chinois se défieraient de leurs compatriotes, parfois même de leurs voisins. Il faut dire que les scandales alimentaires (lait en poudre contaminé), sanitaires (vaccins périmés) et éthiques (plagiats universitaires) n’étaient pas rares par le passé. La présence gangrenante d’une forte corruption et d’un puissant népotisme au sein même de l’appareil politique chinois n’arrange rien.
C’est justement face à cette crise de confiance, de fiabilité et d’honnêteté que le PCC a décidé de créer le SCS. Un système ayant pour mission de réformer l’économie, l’État et ses institutions, et plus encore la société. Doctorante en économie à l’université de Duisburg-Essen, Antonia Hmaidi s’inquiète de la situation. « Il s’agit globalement de diviser [les] citoyens en deux catégories : d’un côté, les personnes de confiance, de l’autre, ceux qui la rompent. »
Achats dématérialisés et payement des factures, casier judiciaire et état de santé, historique internet et messages sur les réseaux sociaux, figurent parmi les critères de notation les plus significatifs. Concrètement, les comportements considérés comme déviants peuvent faire chuter le score : l’asociabilité (vidéos à caractère pornographique, promenade canine sans laisse ou encore trop rares visites chez ses parents), la contestation du gouvernement et la menace contre la sécurité intérieure (consommation de produits importés, non-respect du code de la route et rumeurs) notamment.
À l’inverse, la note peut immédiatement grimper en donnant de son argent (aux pauvres ou à une œuvre caritative), de sa personne (bénévolat et don du sang) et de son temps (soins apportés aux personnes âgées). Ne pas avoir de dettes, louer l’action gouvernementale et faire le bien autour de soi aident aussi.
Sanctions positives et négatives pour un sytème opaque et inabouti
Les autorités ont décidé de tenir des listes noires pour les fautifs et des rouges pour les citoyens modèles. Imaginez la réaction de vos amis s’ils découvrent votre nom sur une liste d’individus jugés indignes. D’autant plus que la note d’un pair peut influencer sa propre note. Beaucoup de « briseurs de confiance », comme le gouvernement les désigne, se retrouvent donc ostracisés. Pour éviter de vivre cela, beaucoup ont recours à l’autocensure.
Un point commun émerge de tous les programmes pilotes : avantages et sanctions proposent une réponse aux différents comportements. Un faible score peut avoir des répercutions sur les carrières – notamment pour les fonctionnaires – ou encore sur l’accès à des prestations réservées à l’élite (hôtels et restaurants de luxe, transport aérien et première classe dans le train). 17,5 millions de Chinois ont ainsi été empêchés d’emprunter le réseau ferré entre mai 2018 et février 2019. Des conséquences sur la vie du foyer sont aussi à prévoir : ralentissement de la connexion internet, impôts en hausse et accès limité aux services publics. Ce sont aussi une assurance, des prêts immobiliers et des crédits à la consommation revus à la baisse.
À l’inverse, une bonne note permet de jouir d’avantages. Dans le domaine de l’éducation (priorité aux admissions scolaires et universitaires), de la finance (accès facilité au crédit et réductions sur les factures d’énergie, voire d’impôts), de la santé (meilleure assurance maladie et fil d’attente coupe-file à l’hôpital), des transports (business class, suppression des cautions locatives pour les voitures et transports publics à moindre coût), mais aussi du travail (promotions plus rapides).
Plusieurs problèmes se posent d’ores et déjà, avant même l’uniformisation du système à l’horizon 2020. Comment la vie privée et les données personnelles seront-elles protégées ? Comment le PCC va-t-il lutter contre les nouvelles formes de corruption ? Face à l’opacité du système, comment s’assurer que l’algorithme de notation soit vraiment impartial et ne joue pas en défaveur des minorités ? Les hauts fonctionnaires seront-ils eux aussi soumis au « social scoring » ? Enfin, sera-t-il possible à terme de noter les évaluateurs et la qualité de leur notation ? Rien n’est moins sûr.
Unique au monde, ce système de big data offre à la Chine de nouvelles possibilités de gouvernance, tant en termes de quantité de données traitées, que de rapidité. Il reste encore beaucoup à faire pour atteindre les objectifs fixés, mais ce système ne va pas cesser de se moderniser dans les années à venir. S’il y avait un point à retenir, ce serait la dangerosité d’un tel projet pour le peuple chinois.
Cette notation nouvelle devrait façonner la nouvelle identité de chaque citoyen, au même titre que son âge, son sexe ou son caractère ; quitte à déterminer s’il est digne ou non d’avoir sa place au sein de la société globale. Les entreprises aussi sont soumises à cette idée, et qui plus est à la nouvelle notation et à ses conséquences. Reste à savoir si ce système tiendra toutes ses promesses, y compris celle de l’équité. Premiers éléments de réponse dans quelques mois.