INTERVIEW. Le changement climatique, question désormais centrale de notre époque, n’en finit pas de mobiliser la jeunesse. Associations et ONG qui s’engagent dans cette lutte se développent un peu partout dans le monde. C’est particulièrement le cas en Allemagne. Étudiante à l’Université de Bielefeld, ville moyenne de Rhénanie-du-Nord-Wesphalie, Lina Strotmann pilote depuis fin mars 2019 la communication locale du mouvement planétaire Friday for future (FFF). WorldZine est allé à sa rencontre.
WorldZine : Certains aiment vous surnommer la « Greta Thunberg bielefeldoise ». Que souhaitez-vous leur répondre ?
Lina Strotmann : [Rires] Nous n’avons pas de « Greta Thunberg bielefeldoise », parce que nous sommes avant tout un mouvement, riche de la pluralité des gens qui le composent. Il n’y a pas une personne représentative du tout, et nous voulons encore moins que quelqu’un jouisse du statut de leader. Nous souhaitons avant tout montrer que nous sommes un groupe dont les rangs sont nombreux.
Les objectifs que vous soutenez à travers FFF consistent à ne plus utiliser de charbon d’ici 2030, atteindre la neutralité carbone en 2035 et avoir recours uniquement aux énergies renouvelables d’ici 2035. Est-ce vraiment un dessein réalisable, surtout lorsque l’on voit les divisions de la classe politique ?
Ces exigences ont été formulées par une partie de l’équipe de FFF, à l’aide d’experts du climat. Mais bien sûr, cela va être dur à réaliser. D’autres objectifs ne sont certainement même plus réalisables avant la date butoir. Je pense notamment à ceux qui avaient pour horizon la fin 2019, et qui n’ont pas forcément été atteints en ce mois de novembre. Mais il est toujours mieux de fixer la barre un peu plus haut, pour espérer obtenir un minimum d’avancées. Atteindre nos espérances initiales serait possible si les politiciens se bougeaient davantage.
La « méthode Greta » sur fond de pédagogie a fait ses preuves pour réveiller les consciences. Hormis manifester le plus de vendredis possible, quelles actions concrètes proposez-vous ?
Tout le monde doit faire un petit peu. Tout le monde peut aussi faire quelque chose. Tout le monde peut arrêter de prendre l’avion chaque week-end par exemple, et privilégier le train pour ses courts séjours. S’il arrive (ironie relative au retard constant de la Deutsche Bahn et de la SNCF, NDLR). Tout le monde peut aussi réduire sa consommation de plastique, notamment ceux à usage unique. Et tout le monde peut manger un peu moins de viande, peut-être même manger vegan. En ce qui concerne FFF, nous avons mené des pourparlers avec plusieurs politiciens de divers partis politiques. Par exemple, lors de la conférence fédérale des délégués du parti écologiste Bündnis 90 / Die Grünen le week-end dernier à Bielefeld, nous avons pu parler à la tribune. Un moment où nous avons eu l’occasion de clamer ce que nous attendons des politiciens écologistes. Aussi, via nos manifestations, nous avons réussi à ancrer la question du changement climatique dans tous les esprits. C’est enfin dans la tête des gens.
FFF joue-t-il un rôle dans la transition verte de votre université ?
Il y a des petites choses qui ont été mises en place à l’université. Sûrement à cause de FFF, les séances en auditeur libre des Lectures for future par exemple, quelques mercredis soir. Il y a des experts qui parlent sur le changement climatique et qui montrent notamment ce que l’on peut faire contre. Et en ce moment, nous organisons la Public climat school où nous allons avoir plusieurs manifestations universitaires, comme des démonstrations dans les laboratoires de la faculté d’ingénieurs sur le thème des énergies renouvelables. Il y aura aussi une conférence, une action devant le self pour rappeler aux étudiants qu’il est bénéfique de manger un peu moins de viande. Il s’agit surtout de mobiliser pour le 29 novembre, la prochaine date phare du combat mondial pour le climat. Pour l’instant, nous n’avons pas de grande influence sur la consommation de viande à l’université. Mais c’est quelque chose que nous allons essayer de corriger.
Le 9 novembre dernier, date anniversaire de la nuit de Cristal, votre mouvement a manifesté contre l’extrême-droite et le populisme aux côtés des 14 000 personnes réunies à Bielefeld. Pourtant, FFF se veut être un mouvement apolitique. Est-il justifié de manifester à l’encontre d’une idéologie sous la bannière écologiste ?
Alors premièrement, on ne peut pas laisser marcher des nazis à Bielefeld. Il faut faire quelque chose contre cela. Et comme nous sommes un mouvement social qui a beaucoup d’effets sur la politique, on ne peut pas vraiment respecter ce caractère apolitique. Le changement climatique lui-même est un thème inhérent à la politique. Je tiens aussi à souligner que beaucoup de nazis nient l’influence humaine sur le changement climatique. Il fallait aussi montrer notre présence, parce que sinon, tout le monde aurait dit « Oui mais les activistes de FFF s’organisent pour le climat, mais pour des choses plus importantes, ils ne le font pas. » En fait, dans toute l’Allemagne, il y a des gens qui font des choses contre l’AfD, contre les nazis, parce que ce sont vraiment des gens qui n’ont pas conscience, ou ne veulent pas avoir conscience, que la dégradation de notre planète est le résultat de l’action des hommes.
En France, la proposition relative au retour de la consigne n’a pas été approuvée par le Sénat. La raison : le manque à gagner pour les collectivités locales. En Allemagne, ce système est pourtant efficace depuis des décennies. Que manque-t-il à la France pour faire triompher l’écologie ?
En France, la viande est un produit de consommation très important, voire indispensable. Tout le monde en mange. Par exemple, au self il est presque impossible de manger végétarien et ce n’est pas forcément bien vu d’avouer l’être. Je pense que c’est un grand problème, tout comme la grande difficulté lorsqu’il s’agit d’acheter des produits sans emballage plastique. Rétablir le système de la consigne serait effectivement une bonne idée. Après, acheter des bouteilles en plastique, on devrait tout simplement arrêter. Mais pour les bouteilles en verre, oui c’est important. Rappelons que la production verrière rejette beaucoup plus d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère que la production du plastique. Cette tradition du retour des bouteilles, et même des canettes en aluminium, devrait être davantage ancrée dans la tête des Français. Après dans la tête des gens, il y a des thèmes qui paraissent plus importants. Je pense aux récentes revendications sociales par exemple, qui peuvent prendre le dessus.
Face à la multitude actuelle des mouvements écologistes, votre mouvement n’est-il pas condamné à s’essouffler ?
Alors en réalité, en Allemagne, le mouvement s’accroît de plus en plus. Le 20 septembre, c’était la manifestation avec le plus grand nombre de manifestants, à la fois à Bielefeld, mais aussi dans le reste de l’Allemagne. On va voir le 29 novembre combien il y aura de personnes dans les rues. Après, il faut aussi se dire que le 20 septembre, c’était le sommet des Nations unies pour l’environnement et que la mobilisation était a fortiori sûrement plus importante que d’habitude pour marquer le coup. Je ne pense pas que nous allons pouvoir mobiliser autant de gens, sachant que la préparation est plus spontanée. Mais ce qui est clair, c’est que les gens vraiment investis dans le mouvement disent qu’ils vont manifester jusqu’à ce que quelque chose change. Le slogan en Allemagne est le suivant « Wir streiken, bis ihr handelt ! » (« Nous frapp(er)ons jusqu’à ce que vous vous boug(i)ez. », NDLR). Dans l’équipe d’organisation des manifestations, c’est un peu plus chaotique. Mais c’est le cas un peu partout dans le pays.