TENNIS. Du lundi 18 au dimanche 24 novembre, la Caja Mágica de Madrid s’est transformée en haut-lieu du tennis mondial en accueillant la Coupe Davis. Les 18 meilleures nations se sont affrontées pour avoir le privilège de soulever le fameux Saladier d’argent. Au bout du compte, c’est l’Espagne qui, devant son public, a triomphé en finale. Si la semaine s’est avérée riche en émotions, la polémique concernant la réforme de cette épreuve a, elle aussi, fait du bruit.
Remémorez-vous. Autrefois, la Coupe Davis, c’était : quatre simples, un double, le tout au meilleur des cinq manches. Les rencontres se déroulaient sur plusieurs week-ends pendant la saison, et l’hôte (l’une des deux équipes engagées) choisissait la surface de jeu. Ambiance électrique et patriotisme unificateur garantis.
Une réforme qui a du mal à passer
Mais le 16 août 2018, tout bascule. La Fédération Internationale de Tennis (ITF) adopte une réforme sans précédent depuis sa création en 1900 par Dwight Davis. Les propositions du groupe Kosmos, mené par le footballeur Gérard Piqué, sont adoptées à la majorité des deux tiers. Le défenseur du Barça est promu organisateur de la compétition. Désormais, le tournoi se jouera sur une semaine seulement, en terrain neutre, et chaque rencontre sera constituée de deux simples et un double, en deux sets gagnants. En somme : une version écourtée, relocalisée, dénaturée ? À Madrid, le nouveau format a fait ses premiers pas. Non sans balbutiements.
Pourquoi un tel bouleversement ? La nécessité de réformer la Coupe Davis était un constat partagé par tous. Depuis plusieurs années, une compétition qui s’érode, des sponsors moins généreux, un public qui se fait plus rare. Le pari de la Fédé : insuffler un nouvel oxygène à la compétition en attirant les meilleurs joueurs mondiaux, qui avaient tendance à la délaisser eux aussi. Comment ? En misant sur un prize money démesuré : chaque participant est assuré de repartir avec 100 000 dollars en poche. Comme si les liasses de billets allaient mettre tout le monde d’accord. De quoi dégoûter définitivement certains sportifs, peu enclins à s’enfermer dans cette usine à fric. Résultat : un casting amputé, puisque seulement cinq des dix meilleurs joueurs mondiaux ont accepté l’invitation.
Le remède pire que le mal ?
Côté stars, les avis sont partagés. Roger Federer (n°3 ATP) n’a pas rejoué une Coupe Davis depuis que la Suisse l’a remportée en 2014. L’Helvète en a profité pour organiser sa tournée d’exhibition en Amérique Latine, qui a connu un franc succès. Samedi 23 novembre à Mexico, 42 517 spectateurs se sont réunis dans l’arène de la « Plaza de Toros » à l’occasion d’une soirée magique, qui a détrôné le record d’affluence pour un match de tennis. Le jeune Allemand Alexander Zverev (n°6) était lui aussi de la partie, après avoir assumé son intention de boycotter la nouvelle formule. Enfin, le Russe Daniil Medvedev (n°4) a également manqué à l’appel, faute de ressources physiques suffisantes après une saison particulièrement chargée.
Le vent de contestation souffle-t-il aussi chez les « anciens » ? Yannick Noah, ancien capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis de 2015 à 2018, ne cache pas son désarroi. Le dernier vainqueur français en date à Roland Garros (en 1983) n’a pas mâché ses mots. Les hashtags parlent d’eux-mêmes :
Un tournant si radical était-il justifié ? A-t-on réellement « ruiné 120 ans de tradition » ? La réforme a-t-elle tué l’esprit de la Coupe Davis ? Puisque cette épreuve n’a plus rien à voir avec le légendaire format initial, faut-il la renommer : Championnat du monde ? Les interrogations abondent, tandis que les solutions se font attendre.
La Coupe Davis : un coup marketing
Accueillir un événement d’une telle ampleur reste avant tout un privilège. La Ciudad Real l’a bien compris : depuis un mois, les trajets quotidiens des Madrilènes sont rythmés par des affiches et autres promotions louangeuses. Au détour d’une station de métro, on pouvait remarquer les noms des quatre joueurs sélectionnés pour représenter chaque pays.
En toute logique, seuls les matchs de l’Espagne se jouaient à guichet fermé. Si la ferveur des locaux faisait chaud au coeur, la réalité était bien différente pour les autres équipes. Puisqu’une image vaut mieux que mille mots, observez ces deux clichés : France-Serbie (à gauche) vs Espagne-Argentine.
Ce qui est sûr, c’est que ce nouveau format a de quoi faire trembler la planète tennis. Pire encore, cette édition a été entachée de scandales, les désillusions laissant place à des remarques piquantes à l’encontre des organisateurs. Les arbitres se heurtent même à la formelle interdiction d’exprimer leur avis sur la question : c’est dire de l’atmosphère qui règne. Quoi qu’il en soit, le débat persiste. D’un côté, les nostalgiques de l’ancienne version qui redoutent le désenchantement de ce légendaire tournoi. De l’autre, les curieux qui choisissent de laisser une chance à cette réforme. Et dans les gradins, qu’en a-t-on pensé ?
La magie (presque) intacte
Pour sa toute première Coupe Davis, Nicholas Lee, originaire de New-York, n’hésite pas à souligner son « intérêt inédit » pour cette épreuve. « C’est probablement dû au fait que je sois au bon moment au bon endroit. Depuis quelques mois, je remarque les publicités dans toute la ville, explique-t-il. Condenser le tournoi sur une semaine unique facilite le suivi des scores ». Bien qu’il ne soit citoyen ni du Canada, ni de l’Australie, le passionné de tennis vante une atmosphère « vivifiante » à l’occasion du quart de finale entre ces deux pays. Une première note qui ne sonne pas faux, mais n’est-ce pas le cas de toutes les premières histoires d’amour ?
Heureusement, toute cette polémique n’a pas entamé le bonheur du petit Luis, madrilène âgé de dix ans, qui a pour la première fois pu s’émerveiller devant son idole national : Rafael Nadal. « Il nous répète chaque jour qu’il veut lui aussi jouer pour son pays quand il sera grand. Je pense qu’il gardera ces images en tête pour longtemps » murmure sa mère, le sourire aux lèvres. Pas de quoi décourager les amoureux de la balle jaune. Mais si la Coupe Davis est encore capable de susciter des vocations chez les plus jeunes, difficile de savoir si les habitués ressentent encore la même émotion.
Regrets et déceptions
Pour la phase de poules, une poignée de fans français a répondu présent. C’est le cas d’Alexandre, étudiant de 23 ans, qui a fait le déplacement depuis Lille. « Je voulais me faire mon propre avis sur le nouveau format. Je dois avouer que cette édition n’a rien à voir avec les précédentes », confie-t-il en se remémorant la finale de la Coupe Davis 2018, qui avait eu lieu à Villeneuve d’Ascq.
Au stade Pierre Mauroy, l’ambiance était électrique, la foule en délire, le terrain vibrait au gré des chants de supporters. Il n’y avait plus une place disponible dans les gradins… Ici, c’est quasi désert. Une déception.
Alexandre, étudiant lillois
Nos Bleus (Tsonga, Paire, Herbert, Mahut et Humbert, guidés par leur capitaine Sébastien Grosjean) n’ont hélas pas réalisé le même exploit que leurs homologues françaises, qui ont remporté la Fed Cup (équivalent féminin de la Coupe Davis) deux semaines plus tôt, au terme d’un bras-de-fer endiablé face à l’Australie. Le parcours de l’équipe de France s’est arrêté bien (trop) vite, n’atteignant même pas les quarts de finale. Deux ans auparavant, elle était pourtant sacrée pour la dixième fois de son histoire.
L’avenir se conjugue au futur
Interrogé sur le bilan de cette première édition, Gérard Piqué se vante d’un succès général, que ce soit au niveau de l’affluence à la Caja Mágica ou des pics d’audience records. Les concerts de Shakira, sa compagne, ne semblent pourtant pas avoir suffi pour réchauffer le coeur des sceptiques. Si Piqué se déclare « ouvert aux discussions avec l’ATP », la porte n’est alors pas fermée à de nouvelles modifications à l’avenir. Le bruit court qu’un quatrième court pourrait voir le jour, et que la compétition pourrait se dérouler en septembre sur deux semaines. De quoi faire de l’ombre à sa jumelle la Laver Cup, qui se tiendra à Boston du 25 au 27 septembre 2020. Pas sûr que Roger Federer apprécie.
Quoi qu’il en soit, force est de constater le potentiel de cette nouvelle ébauche. Encore imparfaite, c’est certain. Mais pourquoi ne pas lui laisser sa chance et attendre quelques éditions de plus pour trancher définitivement ?
Match retour le 23 novembre 2020 à Madrid.