SPECTACLE. Soucieux de diversifier son public, le Théâtre de Châtelet a fait appel au collectif (La)Horde et à l’artiste Rone pour Room with a view, une heure de rave party pour parler d’écologie et de conflits sociaux.
Dans un décor apocalyptique, une jeune femme danse seule sur de la musique techno. Il est 19h45, les portes sont à peine ouvertes, les spectateurs s’installent dans un théâtre dont la lumière vacille en rythme. Une sorte de rave party dans une petite pièce immaculée que Rone et la danseuse se partagent.
De l’autre côté du mur, un espace vide entre icebergs, carrière et entrepôt. Du sable tombe de temps à autre, comme si le décor menaçait de s’effondrer. Peu à peu, les danseurs s’aventurent dans l’espace par des figures, des acrobaties. Certains l’investissent dans un état second, présage d’une pièce chorégraphique toute en contraste entre groupe et individu, conflits et étreintes, oppression et espaces de liberté.
Rone et (La)Horde, le pari gagnant
Erwan Castex, alias Rone, est désormais connu de la scène électronique française. Son label Infiné lui doit déjà quatre albums et quelques collaborations inattendues (Yaël Naïm, Jean-Michel Jarre et l’auteur de sciences fiction Alain Damasio pour ne citer qu’eux). Allié au collectif (La)Horde qui dirige depuis 2019 le Ballet national de Marseilles, Rone a proposé un live inédit dans un espace blanc et délabré, investi par la tension et les corps.
Les trois artistes qui forment (La)Horde, Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, ont créé une oeuvre singulière qui explore les limites du corps, en alternance perpétuelle entre tension et relâche. On doit au groupe, habitué des créations politiques, le spectacle Night Owl réalisé avec des personnes non-voyantes. Éclectique, engagé, (La)Horde n’hésite pas à faire appel à des danses traditionnelles, des mouvements acrobatiques ou des pas de danse dignes de la fin d’une rave party.
Sur scène, dix huit danseurs d’une dizaine de nationalités différentes s’activent. La création est délibérément cosmopolite, l’album en lien avec le spectacle dont la sortie est prévue fin avril s’appellera d’ailleurs Babel. Rone aime à rappeler qu’elle est aussi « horizontale ».
La pluridisciplinarité, enfin, est une force de du spectacle dont la scénographie de Julien Peissel est sublimée par la création lumière d’Eric Wurtz, tandis qu’aux costumes de Salomé Poloudenny se conjuguent les coiffures de Charlie Lemindu.
Collapsologie, électricité et conflictualités
Portés par une énergie nerveuse et électrique, les danseurs s’animent, se provoquent, se rejettent. Une scène de viol succède à l’ouverture de Room with a view. Quatre relations de domination non consenties se jouent simultanément jusqu’à ce que les victimes reprennent par la danse, la nudité, le pouvoir. La réappropriation du corps comme une arme face aux violences sexuelles, au contrôle et la discipline qui s’exerce en permanence à leur sujet.
Alors que le groupe s’aligne, se dresse, un danseur (Nathan Guibert) s’aventure seul sur la piste, animé d’une urgence qui n’est pas sans rappeler celle des clubs de 120 Battements par minute de Robin Campillo. Très vite, la transe du jeune homme est mise à mal par la foule. En avançant, elle dompte progressivement le corps dissident.
Plus tard, la foule est désordonnée, bruyante. Elle est celle de manifestants réprimés, de jeunes que la police piétine. Elle est celle des gilets jaunes, celle des militants pour le climat, celle contre la réforme des retraites.
Très vite, la multitude s’empare de ce large espace que les mouvements semblent avoir rempli à eux seuls ; comme s’il restait de chaque trajectoire une trace, une marque. C’est d’ailleurs le sentiment sur lequel le spectacle nous donne en laissant l’épuisement gagner les corps. Très vite, on oublie la machine à fumée qui survole la scène par d’inlassables rotations comme elle le ferait dans une usine. Le mécanique disparaît, les danseurs cachent d’ailleurs les claviers de Rone en se regroupant au centre. Il n’y a plus que les voix, les respirations de dix neuf corps, à l’unisson plus que jamais.