ACCESSIBILITÉ. Depuis le début du confinement, la langue des signes et le sous-titrage n’ont jamais été aussi exposés médiatiquement. Un progrès qui inspire, mais pas toujours dans le bon sens. WorldZine revient sur la question avec plusieurs personnes sourdes ou malentendantes.
Cela ne vous a très certainement pas échappé. Depuis le début de la crise sanitaire du coronavirus, l’accessibilité aux personnes vivant avec un handicap auditif est partout. Ou presque. Allocutions présidentielles, conférences quotidiennes du directeur général de la Santé Jérôme Salomon, spots de prévention — y compris ceux adressés aux enfants : l’exécutif a drastiquement modifié son approche en matière d’accessibilité pour les personnes sourdes. Et ce, aussi bien du côté du gouvernement, que derrière les dorures élyséennes du sommet de l’État.
Auparavant, seules les adresses à la nation du président de la République étaient signées en langue des signes française (LSF), dans un petit médaillon. Dorénavant, l’interprète prend plus de place à l’écran, quitte à accompagner directement Emmanuel Macron en déplacement — à deux reprises depuis le début de la crise — ou à accompagner des officiels en charge du dossier Covid-19, au ministère des Solidarités et de la Santé. Même constat au niveau du sous-titrage : un apport relativement inédit. Cette percée nouvelle découlerait, a priori, de la récente Conférence nationale du handicap, organisée le 11 février dernier.
Des progrès salués par les principaux intéressés. L’homme à l’initiative du compte Instagram @les.mal.entendus, non signant à l’heure actuelle, tenait d’ailleurs à le souligner : « je suis très content que l’on mette des sous-titres, ainsi qu’une pastille pour les signants. Pour le premier discours du président (depuis le début de la crise, NDLR), au début, j’ai eu le réflexe de ne pas regarder, parce que je m’étais dit : « oui, ils vont encore mettre des sous-titres décalés, ça va être horrible. Je regarderai des résumés sur internet et j’en discuterai avec mes amis entendants. » Mais j’ai été plus qu’heureux de découvrir la vélotypie de Voxa Direct, et des sous-titres bien mieux que d’habitude. »
Un « boom » d’accessibilité suivi de près
Bien sûr, l’accessibilité est loin d’être parfaite à ce jour. La communication gouvernementale n’est d’ailleurs pas sans faille en la matière, même en ce moment. L’annonce d’un baccalauréat en total contrôle continu par le ministre de l’Éducation nationale n’a pas été retranscrite en direct en langue des signes. Une information pourtant indispensable en cette fin d’année scolaire. Même cas de figure du côté des comptes rendus du conseil des ministres et des interventions de Sibeth N’Diaye, porte-parole du gouvernement. Il reste donc du travail. Le gouvernement devrait systématiser davantage l’interprétariat de ses différentes prises de parole, d’ici septembre 2020, selon nos informations.
Concrètement, la communauté sourde milite pour que la loi s’applique véritablement. À la télévision par exemple, les quotas d’heures signées sont encore très rares. Un constat qui a poussé la communauté sourde à créer ses propres médias. Parallèlement, la Fédération nationale des sourds de France attend toujours que la LSF soit inscrite dans la Constitution, au même titre que le français oral et écrit.
Pourtant, comparativement aux autres pays du continent, la France est loin d’être le plus mauvais élève. Curieusement, outre-Rhin la situation est bien loin d’être comparable à celle de la France, poussant la communauté sourde à mettre en place une pétition en ligne pour réclamer des avancées. Conférences de presse et discours politiques y sont effectivement très rarement traduits en langue des signes, y compris pendant la pandémie. Sourds et malentendants allemands ont donc le sentiment d’être des citoyens de « seconde », voire de « troisième zone », alors que la langue des signes est très souvent leur langue maternelle. Dans un pays aussi avancé que l’Allemagne, ce retard interroge.
Une langue « singée » sur les réseaux sociaux
Si le nouvel élan d’accessibilité français inspire nos voisins allemands, il stimule aussi les moqueries en tout genre, souvent symptomatiques d’une certaine ignorance face au quotidien des personnes sourdes. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont ainsi publié des vidéos dans lesquelles ils imitaient, à leur manière, les interprètes. D’autres ont capturé des arrêts sur image ou réalisé des photomontages, dans lesquels l’interprète signe un mot qui, pour la majorité des Français ne maîtrisant pas la LSF, peut avoir une connotation sexuelle ou tout du moins vulgaire. Certaines célébrités se sont prêtées à ce jeu, d’un goût douteux.
Interrogé par WorldZine, le collectif associatif Sourd’iant ne manque pas de rappeler les conséquences de telles moqueries : « on le ressent comme une discrimination linguistique. Notre langue, souvent appelée à tort et à travers un « langage » souffre d’une absence de reconnaissance, et est assimilée à des singeries sans sens véritable. On nous somme d’ »avoir de l’humour », sauf que l’humour peut aussi être une arme oppressive. Notre langue n’a pas à servir le « validisme », sous couvert de la liberté d’expression. »
À ce propos, le collectif précise sa position : « ce qui apparaît est limpide : ils tournent à la dérision les interprètes LSF, sans connaître le contexte dans lequel vivent les personnes sourdes. Beaucoup d’entre nous souffrent encore de l’inaccessibilité des médias et se retrouvent parfois isolés. L’humour à notre égard peut être utilisé si l’auteur de cet humour connait la culture sourde et le contexte historique qui s’y réfère, comme l’interdiction pendant plus de 100 ans de la LSF. »
Maladresse. Certains justifient leur geste en soulignant qu’ils voulaient se moquer d’Emmanuel Macron et non pas des sourds ou des interprètes. Mais du côté de la communauté sourde, nombreux sont ceux qui considèrent ces formes d’« humour » comme un manque de respect total envers les interprètes et leur métier, mais aussi envers les sourds et leur combat. « Les personnes entendantes utilisent l’interprète pour se moquer soit du discours, soit du président, soit de l’actualité. Or, c’est quelque chose de très blessant pour la communauté sourde. Et surtout un manque de respect pour les interprètes. D’autant que l’accessibilité, ce sont des métiers parfois très peu considérés en temps normal. Donc je suis triste par rapport à ces moqueries », déplore l’auteur du compte Instagram @les.mal.entendus.
Et ce dernier poursuit : « je fais le parallèle avec quelqu’un qui utilise une langue qu’il ne maîtrise pas pour rigoler. C’est tellement irrespectueux envers les gens. Et cela me frustre que les personnes entendantes ne comprennent pas en quoi cela peut être blessant. Ces personnes en appellent à la liberté d’expression et à l’humour. Ce n’est « drôle » que pour les personnes non concernées. C’est frustrant que l’on soit obligé de répéter chaque jour que c’est irrespectueux de ‘singer’ cette langue, que oui certains sourds ont besoin de la LSF et que non ils ne sont pas pour autant idiots ou analphabètes. »
Mélanie Deaf rappelle que les sourds ne manquent d’ailleurs pas d’humour et d’autodérision, mais que : « si vous voulez vous moquer de Macron, vous pouvez apprendre la langue des signes, et tenir des propos […] qui ont un sens comme en français : sujet, verbe, complément. »
Face à cette situation, la riposte a été massive de la part des personnalités sourdes, ou proches de la culture sourde, via Facebook, Twitter et Instagram. Et ce, à renfort de vidéos à portée pédagogique et de mot-dièses évocateurs : #Nousnesommespasundivertissement et #Déplacezvotrehumour. Des hashtags largement partagés.
Dans son dossier thématique « LSF à la TV : Humour et moquerie », l’Association française des interprètes et traducteurs en langue des signes (AFILS, NDLR) revient en détail sur la problématique, de manière nuancée et pédagogique. Elle y souligne par exemple qu’il n’est pas interdit de rire, mais que le rire, inconsciemment peut-être, reflète presque toujours une forme de politisation. D’autant plus que ces formes de dérision traduisent un fossé supplémentaire entre la communauté sourde et la communauté entendante. Si pour les sourds, cette accessibilité accrue est une victoire, une partie des entendants tourne au ridicule des années de combat pour en arriver là.
Si ces moqueries ont largement été dénoncées, le fait de s’improviser interprète à ses heures perdues l’a été tout autant. La ville de Châlons-en-Champagne a effectivement accepté l’aide d’une bénévole pour signer les discours vidéos du maire. Le hic : la bénévole en question n’est pas interprète, et ne maîtrise pas suffisamment la LSF. Dans le combat pour l’accessibilité, le chemin est donc encore long. Encore faudra-t-il lui aussi le déconfiner.