Le long des rayons, les cartons multicolores des jeux de société débordent des têtes de gondole. Une abondance des quantités et des images racoleuses à en perdre le sens de sa marche. Dans cette grande chaîne de magasins de jouets du IXèmearrondissement de Paris, quelques clients déambulent cet après-midi, prêts à dénicher ce qu’il faudra pour faire sourire leurs enfants. Les bras remplis d’un cadeau aussi grand que son torse, Elsa Vergara balaye doucement les vitrines de ce grand passage commercial. « Il y a énormément de jouets, mais beaucoup sont trop chers, surtout les Playmobils et les Barbies », sourit l’esthéticienne de 34 ans. Des produits déjà onéreux, alors que la tension monte dans ce marché en cette fin d’année.
L’inflation des matières premières comme le bois ou le plastique, mais aussi des semi-conducteurs pour faire fonctionner les jouets électroniques, risque de faire flamber leur prix à l’approche de Noël. Appuyé le long d’une rambarde d’escalier de son magasin, le porte-parole national de JouéClub veut rassurer. « Si la hausse est trop importante, nous prendrons sur nos marges. Mais l’inflation sera légère, ça ne changera pas les habitudes des consommateurs », s’exclame Franck Mathais, 54 ans, en manipulant le carton d’une figurine pour appuyer sa démonstration. « Les enfants sont prescripteurs des achats à 85% », poursuit-il pour souligner que peu importe le prix, le choix de l’enfant est sacré.
Cheveux bruns courts et veste grise bien taillée, un client Michael Sitbon le concède, l’étiquette des prix n’a pas d’importance. « J’achète les cadeaux qui sont sur la liste du père Noël », affirme cet agent immobilier de 43 ans après son passage en caisse. Mais pour Fellah Bessayeh, avocate algérienne de 41 ans, le prix sera peut-être un prétexte pour trahir la demande de ses enfants : « On l’a déjà fait par le passé, si les jouets sont trop chers, on se rabattra sur des jeux de société. »
« Les commandes anticipées huit mois à l’avance »
En plus du prix, la question de l’approvisionnement en jouets s’ajoute comme un poids supplémentaire pour les magasins. « 57% de nos jouets viennent de Chine. S’ils ont un cas de covid dans un port, ils le ferment, c’est déjà arrivé deux fois cette année. Donc la vraie question est : vais-je avoir un conteneur ? », analyse Franck Mathais. Mais sur son ton posé, le représentant souhaite une nouvelle fois rassurer en montrant du doigts ses rayons bien remplis : « Nous avons anticipé nos commandes huit mois à l’avance. »
Dans le XIème arrondissement, Lucia Renzuli tient un petit magasin de jouets. Une odeur sucrée d’huile essentielle est diffusée dans sa pièce unique aux murs blancs que les cartons décorent sur des étagères. Aucun rayon, mais des peluches de toutes les couleurs et des boites de jeux de société sont disposées en hauteur partout sur le carrelage. Chez elle aussi, le sentiment de profusion ne laisse pas présager de pénurie. Entre deux galettes de riz pendant sa pause déjeuner, elle le martèle : « Mon magasin est rempli ! »
« Certains fournisseurs nous poussent à acheter plus et les ports chinois nous demandent de faire des achats groupés », détaille la vendeuse de 54 ans. Mais elle reste agacée par les grandes enseignes qui veulent se servir de cette situation « pour faire leur chiffre d’affaires ». Pour dénoncer « l’influence du lobby du jouet », elle n’hésite pas à monter la voix : « tout ça, c’est fait pour que les gens n’oublient pas d’acheter plein de cadeaux avant Noël dans les grandes chaînes. » Pénurie ou pas, les magasins de jouets auront réussi à faire parler d’eux trois mois avant Noël.