À la veille des vacances d’automne, les écoliers s’attardent devant les grilles de leur établissement et discutent l’esprit léger. Appuyés contre un mur, enfin déchargés du poids de leur cartable, ils se confient sur l’une de leurs passions du moment : Squid Game. Au sein des collèges lillois Thérèse d’Avilé et Carnot, difficile de rencontrer un élève pour qui le nom de la série serait inconnu.
Réalisée par le coréen Hwang Dong-hyuk, Squid Game a battu les records d’audience de Netflix lors de son démarrage le 17 septembre dernier. Plus d’un mois après cette date, l’effervescence autour du « Jeu du Calamar » ne faiblit pas. Mais les événements qui ont récemment fait parler de lui ne le présentent pas sous son meilleur jour. Professeurs et parents s’inquiètent de voir des élèves, de la primaire au collège, s’amuser à reproduire les jeux – et leur violence – tirés du maintenant célèbre « battle royale ».
L’influence des pairs
Faisant fi des avertissements et malgré le fait que Squid Game soit déconseillée aux moins de 16 ans, les collégiens acquiescent à l’unanimité lorsqu’il s’agit de l’avoir regardée. Maya, 11 ans, explique ce phénomène par le bouche-à-oreille : « Il y a les copains qui regardent. » Et ses deux camarades d’acquiescer : « Au collège, tout le monde en parle. » Dans les cours de récréation comme sur les réseaux sociaux, la diffusion est très vite amplifiée.
Psychologue pédiatrique, Sophie* associe ce phénomène d’imitation collective à un besoin d’identification, caractéristique des enfants de cet âge, qui contribue à construire leur identité à un moment clé où ils organisent encore leur relation aux autres. « On prend davantage appui sur les pairs que sur les figures parentales, que l’on aime et déteste à la fois », analyse-t-elle.
Les collégiens accros à la série savourent le suspense des votes. « La baston à la fin » est appréciée, même si « parfois, c’était gore. » Pour Noémie, « les épreuves et la violence » plaisent dans cette série : « J’ai vu dans la cour des gens jouer à ‘1-2-3 soleil’ depuis. » En Belgique, des instituteurs ont rapporté il y a un mois que des élèves de primaire avaient fini par se blesser entre eux en s’y adonnant.
« On diabolise quelque chose qui a toujours existé »
Les enfants sont conscients du caractère particulier de la série. « C’est original », abondent certains. À cet âge, ils disent distinguer la réalité et la fiction. Mais aux yeux de la spécialiste, cette distinction est dénuée de sens. La nuance réside dans ce que le visionnage, tout comme la reproduction du contenu de la série, « reste un jeu. »
À travers Squid Game, dont la dimension ludique est double puisque ce sont des jeux enfantins que la série fait tourner au massacre, ils « expérimentent » et voient justement ce que cela fait que d’avoir peur, d’avoir mal. « Ce n’est pas d’eux qu’il s’agit, mais ça leur fait vivre des choses », ajoute la psychologue.
« On diabolise quelque chose qui a toujours existé », martèle Sophie. Elle encourage à arrêter de mystifier l’enfance et sa supposée naïveté. Ces expériences communes à toutes les générations sont une « recherche de sensations » et de sens, presque cathartique. L’interdiction de la série aux moins de seize ans fait doucement sourire la spécialiste : « Les interdits sont faits pour être détournés. » Jouer à être plus grand qu’on ne l’est et faire l’adulte, « tout ça, ça construit aussi. »
Squid Game n’est d’ailleurs qu’un exemple parmi d’autres des diverses formes de violence qui s’imposent aux enfants quotidiennement : « Je trouve que l’on est dans une société déjà très violente », ajoute Sophie.
De leur côté, les professeurs et parents se retrouvent souvent démunis, sans savoir comment réagir face à l’irruption du phénomène Squid Game au sein des classes ; encore moins parviennent-ils à endiguer sa diffusion. Pour les parents d’Ibrahim, la question de sa diffusion s’est déjà posée. « Au début, ils ont trouvé ça violent, mais après ils ont bien voulu », lance le garçon. D’autres collégiens rapportent que les leurs « s’en fichaient un peu » ou bien qu’« ils n’ont pas regardé, ils n’étaient pas au courant. »
Durant cette préadolescence, la prévention face à des contenus mainstream comme Squid Game « se joue donc à plein de niveaux » pour la psychologue, qui répète que « la responsabilité est aussi sociale. » En attendant, la priorité réside peut-être dans la recherche de meilleurs moyens pour mettre du sens dans la construction et l’éducation des enfants. La hausse des ventes de cours de coréen, que la série a entraînée, pourrait bien en être un indice.
*Identité anonymisée