TENNIS. C’est bientôt la fin d’une ère, certainement la plus grande de toutes. Le temps où Federer, Nadal et Djokovic rangeront définitivement les raquettes approche à grand pas, questionnant de plus en plus l’attractivité même d’un tennis bientôt orphelin de ses trois monstres sacrés.
Sans Djokovic ni Federer, l’Open d’Australie a finalement vu Rafael Nadal arracher un incroyable 21e titre majeur à Melbourne le mois dernier, au terme d’un tournoi que personne n’est prêt d’oublier. Privé de deux des trois membres du « Big 3 » en ce début de saison et malgré un espagnol en feu depuis son sacre australien, le circuit s’habitue petit à petit à faire sans ses principales figures de proue, au prix de son intérêt auprès du public ?
61 titres en Grand Chelem, 101 sacres en Masters 1000, 875 semaines passées à la 1ère place mondiale. Roger Federer (40 ans), Rafael Nadal (35 ans) et Novak Djokovic (34 ans) marchent sur le monde du tennis depuis plus de 15 ans maintenant – en témoignent leurs statistiques communes – ne laissant que des miettes à leurs concurrents. C’est simple, depuis Roland Garros 2005, seulement dix des 67 tournois du Grand Chelem disputés sur cette période n’ont pas été remportés par l’un de ces trois joueurs. Démentiel.
Maintenant que tout cela est dit, il paraît presque évident que, sans Federer ni Djokovic, Nadal soit l’heureux vainqueur à Melbourne. Mais en réalité, son sacre relève davantage du miracle que de l’évidence. Blessé depuis cinq mois, le majorquin disputait seulement son deuxième tournoi depuis son retour, alors qu’il boitait encore quelques semaines avant le lancement de la saison 2022. La nouvelle génération pousse et face aux blessures et absences de plus en plus récurrentes des trois titans jeu, une victoire en Grand Chelem d’un membre du « Big 3 » n’est désormais presque plus la norme. Le circuit s’habitue petit à petit à faire sans ceux qui portent le tennis à bout de bras depuis près de deux décennies. Tôt ou tard, Medvedev, Zverev, Tsitsipas et Cie prendront définitivement la relève au sommet de la hiérarchie, mais en ont-ils les épaules ? Le tennis sera-t-il autant attractif lorsque Federer, Nadal et Djokovic rangeront leurs raquettes au placard ?
Le tennis n’a de yeux que pour le « Big 3 »
S’il y a bien une chose que personne ne peut discuter, c’est que même vieillissant et moins exposé, le « Big 3 » – et surtout Federer et Nadal – ont une cote de popularité qui ne faiblit pas. Ils sont de loin – seuls Juan Martin Del Potro ou, dans un style différent, Nick Kyrgios, peuvent éventuellement rivaliser avec eux – les joueurs les plus aimés et regardés par le grand public et les autres joueurs du circuit. Nadal est constamment cité comme modèle de combativité et d’exemplarité, aussi bien par les autres joueurs et joueuses du circuit que les jeunes qui aspirent à reproduire ses exploits. Il est adulé dans tous les stades du monde, et notamment à Paris, sa deuxième maison. Federer lui, a remporté en 2021 le prix « ATP Fan Favorite Award », récompensant le joueur préféré des fans, pour la 19ème fois consécutive, alors qu’il est presque totalement absent des radars depuis début 2020, c’est pour dire. Même quand il ne joue pas, le monde n’a d’yeux que pour lui.
On ne peut toutefois pas en dire autant pour Djokovic. Etant arrivé quelques années après ses deux homologues au plus haut niveau et possédant une personnalité moins appréciée du grand public, il a en réalité toujours été le « vilain petit canard » du trio. Et son comportement depuis le début de la crise sanitaire, ponctué par le récent scandale dont il a été sujet à Melbourne, ne risque pas d’arranger son cas. Néanmoins, même s’il n’est pas le plus apprécié, le consensus autour des exploits qu’il a réalisé et de son empreinte sur l’histoire du tennis ne font l’objet d’aucun débat : c’est là le plus important.
« J’ai confiance en la prochaine génération pour nous faire rêver »
Le monde du tennis craint alors le jour où ces trois joueurs ne seront plus actifs. Sans ses trois figures de proue, peut-il préserver sa visibilité ? Auprès des amateurs de tennis, en tout cas, la tendance est hésitante, mais plutôt optimiste : « Je pense qu’aux yeux du grand public, oui, le tennis perdra quelque chose parce qu’ils mettent une grande lumière sur ce sport. Les fans seront sûrement tristes, mais aux yeux des vrais fans de tennis, ce sport gardera un immense intérêt », juge Camille Moal, adhérent à l’AS tennis de Sciences Po Lille. Louis Minet, ancien adhérent au Tennis Club de Villeneuve d’Ascq, et grand amateur de tennis, confirme : « Sans doute que certains spectateurs suivent le tennis de loin juste pour le « Big 3 » et ses performances. Mais j’ai confiance en la prochaine génération pour nous faire rêver. »
Medvedev, Zverev, Tsitsipas et Compagnie ont également grandi en voyant ce que ces trois monstres sacrés réalisent depuis maintenant près de 20 ans. Ils ont repoussé les limites de ce jeu comme personne ne l’avait jamais fait auparavant, figeant dans le temps des matchs et des souvenirs qui ne trouvent aucun égal ou presque dans l’histoire du tennis. Pour n’en citer que trois, Nadal et Federer ont joué la plus longue finale de l’histoire de Wimbledon (4h48) en 2008, finale également considérée comme étant le plus grand match de tous les temps. Djokovic et Nadal eux, ont joué la plus longue finale de l’histoire, tous Grands Chelems confondus (5h53) à l’Open d’Australie il y a tout pile dix ans. Enfin, Federer et Djokovic quant à eux, ont certainement disputé l’une des finales de tournoi Majeur les plus dramatiques de tous les temps à Wimbledon en 2019, remportée 13-12 par Djokovic au 5ème set, le tout après avoir sauvé 2 balles de match. Leurs trois noms cumulés représentent pas moins de 23 affiches en finale de Grands Chelems – un record – pour presque autant de combats historiques.
« Je suis persuadé que le tennis sera entre de bonnes mains, même après nous »
Les émotions que le « Big 3 » a procuré aux fans du tennis depuis tant d’années sont telles que l’absence d’une réelle régularité de la « Next Gen » – qui ne se fait plus toute jeune – questionne la réelle capacité de cette dernière à procurer des émotions aussi fortes à l’avenir. D’autant plus que, pour l’instant, rares ont été les combats mémorables entre les membres de cette nouvelle génération sur les principales scènes du circuit. A l’occasion d’une interview par le journal L’Equipe après son titre à Melbourne, Nadal, lui-même, ne s’inquiète pas : « Ce sera comme ça a toujours été : le tennis continuera. […] Bien sûr, on vit une époque très spéciale […], mais je suis persuadé que le tennis sera entre de bonnes mains, même après nous. Il y aura bien d’autres champions, ne vous inquiétez pas. » Louis Minet, qui a suivi de près la victoire de Nadal à Melbourne, va également dans ce sens : « Les derniers grands tournois ont donné un avant-goût de l’après avec un grand Medvedev (à Melbourne, NDLR) ou encore Zverev aux JO. De même, le match Medvedev-Tsitsipas nous a encore exposé l’une des rivalités qui va rythmer le tennis de ces prochaines années. »
Medvedev, qui a joué contre Nadal sa 4ème finale de Grand Chelem à Melbourne (pour un titre), semble déjà avoir emboîté le pas de l’histoire. On ne peut pas dire que ce soit encore pleinement le cas pour Zverev, Tsitsipas et tous les autres. À vous de jouer messieurs, le monde du tennis est pourtant plus que prêt à vous donner les premiers rôles.