Avec ses quatre millions d’utilisateurs mensuels, l’application chinoise de partage de vidéos sur smartphone TikTok a connu une ascensions fulgurante depuis sa création en septembre 2016. Le concept ? L’indémodable playback. L’utilisateur publie des vidéos courtes – allant maintenant jusqu’à dix minutes – sur des fonds sonores musicaux ou non. Progressivement et au fil des trends (tendances), les pratiques se sont diversifiées, allant des « collages », des « lives » (vidéos en direct) à des vidéos humoristiques originales.
Recette gagnante : sa société mère ByteDance est devenue l’une des plus grosses licornes chinoises – start-up valorisées plus d’un milliard de dollars – dès 2018. Et avec le confinement, le réseau social a connu un véritable emballement avec 315 millions de téléchargements au premier trimestre 2020.
« Le nouveau modèle pour gagner en visibilité »
À l’instar de YouTube et Instagram, les entreprises et les marques se sont saisies de TikTok. Des célébrités émergentes peuvent donner de la visibilité à leurs produits sous couvert de rémunération. C’est le monde de l’influence.
Au regard des statistiques telles que l’audience, le nombre de likes et de commentaires sous une vidéo, les entreprises peuvent négocier des contrats de partenariats avec les influenceurs qui leur paraissent intéressants. Diego Sarthou alias @djaysonkaravane fait par exemple des vidéos humoristiques dans lesquelles il se plait à jouer des personnages. Pour lui, « TikTok est le nouveau modèle des marques et des entreprises pour gagner en visibilité. »
« Tout se joue dans le caractère du talent. Pour Diego par exemple, une marque peut se retrouver dans ses personnages signatures », explique Mathis Beignon, son agent. Récemment et non sans originalité, Diego Sarthou, réputé pour son personnage de « maman », a pu promouvoir un célèbre service commercial de VPN (réseau virtuel privé).
Le bon filon pour les agences de production
Avec les années, ce monde de l’influence a eu tendance à se structurer et se professionnaliser. De multiples agences d’influenceurs ont progressivement vu le jour. C’est le cas d’Ambission.co. Lancée en 2017 à Bordeaux par deux frères, il s’agissait à l’origine d’une agence de production audiovisuelle qui s’est récemment diversifiée en ouvrant sa branche « influence » avec une société sœur en février 2022 Ambission Entertainment.
« Il y a à peu près un an, c’est un ami influenceur qui est venu vers nous pour qu’on l’aide à « manager » sa carrière. Si on avait déjà senti l’intérêt du secteur, nous n’avions aucune connaissances du milieu. Travailler avec lui nous a permis de sonder le marché et nouer des contacts dans le milieu », précise Mathis Beignon, également manager chez Ambission.co
Il n’est en effet pas inutile de nouer des contacts au sein de TikTok. Du fait de sa large audience jeune, la plateforme est soumise à un certain nombre de modérations : « Sur TikTok, il est assez facile de se faire bannir ou à moindre échelle se faire supprimer une vidéo. Par exemple dans le cadre d’un de mes personnages je me souviens d’une vidéo humoristique dans laquelle je disais une insulte ; elle a été supprimée. » Si le cas de Diego Sarthou parait sans gros impact, il pose question sur la politique de modération et l’éthique de la plateforme.
Éthique et Tok
« La trend des « collages », ces vidéos où l’on réagit à une autre vidéo peut aussi entraîner des signalements si la personne à l’origine de la première vidéo le prend mal. Ça tient du droit à l’image j’imagine… » Mais cette modération dont parle Diego Sarthou n’est bien évidemment pas sans failles. Comme de nombreuses plateformes numériques, TikTok donne du fil à retordre au législateur. En France, toute publication faisant l’objet d’une collaboration commerciale doit être clairement identifiée sous peine d’être considérée comme pratique commerciale trompeuse. Mais à l’échelle européenne le marketing d’influence ne fait pas l’objet d’un encadrement en dehors de l’injonction à la transparence.
TikTok peut promouvoir la créativité et propulser des talents, elle peut également engendrer des arnaques. Les scandales liés à des partenariats entre des influenceurs peu regardants et des marques à l’éthique douteuse ont servi de leçons pour les nouvelles générations d’influenceurs. « C’est un peu là que nous [les agences d’influence] on peut intervenir. Il n’y a pas d’école pour devenir influenceur ou talent, je préfère le terme. Nous on est là pour les aiguiller si la marque propose un bon produit, un bon service ou non », poursuit Mathis Beignon.
L’Autorégulation est donc la norme, encadrée en France par l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) qui a par exemple créé un Certificat d’Influence Responsable, payant pour les influenceurs.
Récemment, la guerre en Ukraine est venue s’imposer sur la plateforme. Le nombre de comptes arborant le drapeau ukrainien ou les « lives » en Ukraine n’ont cessé de fleurir en l’espace d’une semaine de conflits. Certains médias sont venus dénoncer les utilisations du conflit à des fins financières (comptes réclamant des cadeaux etc.), mais plus globalement, c’est la désinformation et la présence de propagandes des deux camps qui ont fait l’objet de critiques virulentes. En ce sens, certains accusent la plateforme d’être dangereuse pour la démocratie.
Le procès de TikTok
Tous ces questionnements et controverses autour de la plateforme ont suscité l’intérêt d’Eliott Nouaille et de Quentin Deme. C’est sur les planches du théâtre Mogador qu’ils nous proposent de faire se rencontrer dans un spectacle, des influenceurs TikTokeurs et des orateurs « tantôt pour défendre les mérites de TikTok, tantôt pour mettre en lumière les dangers de l’application. »
De l’écran à la réalité, Diego Sarthou foulera les planches aux côtés de neuf autres TikTokeurs pour y produire une « capsule humoristique » et se défendre en « témoin » face à des juges et avocats venus plaider sur les enjeux sociaux et éthiques soulevés par la plateforme. « Au collège, on m’a souvent conseillé de faire du théâtre. Mais là, fouler les planches du théâtre Mogador devant 1600 personnes… C’est super stressant », reconnait le jeune homme. Afin de pousser à la réflexion autour de la plateforme, « Le Procès de TikTok » est à retrouver ce 21 mars prochain au Théâtre Mogador à Paris.