SANTÉ. Pesticides et perturbateurs endocriniens sont les nouveaux poisons ordinaires que l’on trouve dans notre nourriture quotidienne. Surchargés de travail et constamment (op)pressés par le temps, les consommateurs se sont habitués à la facilité de l’offre de supermarché, au détriment de leur santé. Des produits non naturels, caractérisés par un excédent de sucre et de conservateurs, cultivés dans des conditions parfois scandaleuses…voilà ce qui s’empile désormais dans nos placards. Mais il ne fallait pas sous-estimer les Français, pour qui la nourriture est chose sacrée. Ceux-ci recherchent de plus en plus des produits sains et de réelle qualité. Cette quête de naturel est favorisée par des associations telles que l’AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), qui met en relation des petits producteurs locaux et des consommateurs éclairés. Nous avons assisté à l’une des distributions hebdomadaires qui a lieu dans la cour de l’école du quartier Bourg L’Evêque à Rennes, le mercredi, entre 18h30 et 19h30. Nous y avons rencontré trois acteurs de l’association. Jean-Philippe, son président depuis trois ans, Olivier, informaticien, adhérent depuis 2012, et Sarah, maraîchère et première productrice de l’association.
Dans quelles circonstances l’AMAP de Rennes a-t-elle été créée ?
Jean-Philippe : L’association a été créée en septembre 2010 par trois anciens habitants du quartier qui connaissaient personnellement Sarah, la maraîchère qui fournit nos paniers de légumes. Elle était alors infirmière et souhaitait se reconvertir. Elle avait besoin de convaincre sa banque, qui voulait une assurance. L’AMAP a donc été créée afin de pouvoir lui assurer ses prêts. Aujourd’hui, cette relation de confiance entre producteurs et consommateurs perdure. L’AMAP soutient les producteurs locaux en achetant à l’avance une partie de leurs récoltes. Au fil des années, des producteurs de pain, galettes, fruits et produits laitiers ont rejoint l’AMAP à la demande des adhérents.
Quel est le fonctionnement de l’AMAP ?
Jean-Philippe : Nos cinquante adhérents s’abonnent aux produits qui les intéressent, par un système de contrats, valables pendant 6 mois à un an. Les prix et quantités sont fixés par les producteurs. Tous les paniers de légumes ont la même composition, en fonction des récoltes de Sarah, qui cultive des légumes de saison uniquement.
Pourquoi avoir choisi de valoriser le bio et le local ?
Jean-Philippe : Le local est une exigence de notre charte, et c’est une bonne chose, car cela permet de soutenir les petits agriculteurs locaux, qui n’ont pas de grandes exploitations industrialisées. Quant au bio, ce n’est pas obligatoire, mais quitte à valoriser des produits, autant qu’ils soient de réelle qualité. Notre but est de faire en sorte que les gens consomment de la nourriture réellement saine !
Olivier : C’est précisément cette charte et ces engagements qui m’ont attiré chez l’AMAP. Soutenir une agriculture locale me permet de limiter l’impact négatif que je pourrais avoir sur l’environnement, et le bio m’évite d’ingérer des produits chimiques et a l’avantage de respecter les saisons et les animaux.
Est ce qu’on peut reconnaître un produit bio ou local ?
Sarah : Visuellement, probablement pas, mais au niveau du goût, c’est possible. Prenez les tomates, par exemple. On est désormais habitués à en manger à toute période de l’année, ce qui n’est pas naturel. On ne les cultive donc pas dans des conditions optimales. Une tomate bio et cultivée dans le respect des saisons aura un goût totalement différent, et les tomates basiques vous paraîtraient bien fades en comparaison !
Jean-Philippe : Pour le bio, je ne saurais pas vous dire, mais pour le local, c’est facilement repérable. Un produit qui vient de loin a été cueilli vert, et non pas mûr, sinon il serait pourri avant d’arriver dans nos étalages. Il est donc conservé au froid pendant son transport, ce qui fait qu’une fois en France, il est un peu mou et n’a souvent aucune odeur ou presque.
Est ce que vous pensez que le système de l’AMAP peut se généraliser ?
Jean-Philippe : Oui et non. C’est vrai qu’il n’y a jamais eu autant d’AMAP…Dans notre quartier, on nourrit à peu près 40 à 50 familles, et si on regroupe toutes les AMAP du coin, l’association nourrit probablement mille familles rennaises. Alors oui, j’imagine que cela pourrait se généraliser jusqu’à un certain point, mais je ne crois pas que ce système suffirait à nourrir la totalité de la population française.
Sarah : Peut être, mais il faudrait que ce changement vienne autant des producteurs, qui devraient renoncer à multiplier les grosses fermes industrielles, que des consommateurs. Les gens doivent prendre conscience de ce qu’ils mangent réellement, et de l’importance de la nourriture pour une bonne qualité de vie. Il faudrait qu’ils acceptent de consacrer plus de budget à la nourriture et qu’ils éduquent leurs enfants dans le sens d’une consommation responsable. Les gens n’ont pas idée du pouvoir de la demande : si tout le monde se mettait à ne réclamer que du bio, tout le système agricole et commercial s’en verrait transformé !
Aujourd’hui, pensez vous que l’on puisse consommer exclusivement des produits issus de l’agriculture biologique ?
Jean-Philippe : C’est assez difficile, mais c’est possible, en tout cas chez soi. Les lieux de vente se multiplient : en biocoop, au supermarché, ou au marché des Lices par exemple, dont 50% des produits sont bio. Mais au restaurant, à la cantine scolaire ou celle du lieu de travail, il n’est pour l’instant pas possible de maîtriser l’origine des produits.
Olivier : Personnellement, je dirais que j’arrive à manger à 90% bio. Je complète mes paniers de l’AMAP sans difficulté, avec des produits bio de marché ou de supermarché. Cela dit, il y a parfois des produits dont il faut se méfier, notamment parce qu’ils arrivent d’autres pays, dont on ne connaît pas les méthodes agricoles. Il y a aussi des produits qu’on ne trouve pas au rayon bio, ou qui seraient alors très coûteux, comme la glace.
Olivier, pensez vous que ce mode de consommation a transformé vos habitudes culinaires, et qu’il vous revient plus cher ?
Je n’ai pas l’impression de cuisiner plus ou moins qu’avant. D’ailleurs, j’ai toujours recours aux plats cuisinés, c’est bien pratique quand on a des enfants en bas âge et un emploi du temps chargé. On en trouve des bio désormais ! Après, pour ce qui est de la question financière, je ne vois pas de grand changement non plus. Les produits de l’AMAP sont dans la gamme de prix qu’on trouve dans tous les rayons bio. Et puis de toute façon, je préfère payer un peu plus cher pour avoir accès à des produits de qualité, issus d’un circuit court, plutôt qu’à des produits non fiables générés en masse dans de grandes exploitations.
Tout le monde n’a pas les mêmes réflexes de consommation. Quelles sont selon vous les mauvaises habitudes de certains consommateurs ?
Sarah : La plupart des gens mange hors saison, ce qui a des conséquences négatives sur l’environnement. Ils mangent aussi beaucoup trop, ce qui crée une surcharge de demande et donc des déséquilibres environnementaux. Et surtout, les gens ont la fâcheuse tendance à se fier à tous les produits, partant du principe dangereux que tout ce qui se vend est bon à manger.
Jean-Philippe : C’est vrai que malheureusement, les gens ne donnent plus la priorité à la qualité de la nourriture, mais à son prix. Ils mangent beaucoup de produits peu chers, mais pas forcément bons pour la santé. Des études ont d’ailleurs montré que ces 30 dernières années, le budget consacré à la nourriture baisse au profit des loisirs mais aussi de nouveaux besoins, comme l’abonnement téléphonique et l’accès à Internet. C’est dommage, parce qu’adopter une forme de consommation plus saine et plus éthique peut aussi faire baisser les prix. Quand on commerce directement avec des producteurs locaux, sans passer par des redistributeurs qui prennent un pourcentage, et en limitant le coût des transports, forcément, le produit finit par être moins cher.
Pensez vous que l’association permet de sensibiliser les gens à la réalité de la production agricole ?
Sarah : Je suis toute seule dans mon exploitation agricole. C’est difficile et fatiguant, d’autant plus que mes récoltes sont soumises à des contraintes climatiques imprévisibles. Un temps trop sec ou trop humide peut avoir des conséquences désastreuses. Une fois, j’ai eu des problèmes à cause d’une tempête. Les adhérents de l’AMAP se sont montrés vraiment solidaires et sont venus m’aider, ce qui prouve que l’association est bien plus qu’un service, mais permet vraiment de renforcer les liens entre producteurs et consommateurs. D’ailleurs, la porte de mon exploitation est toujours ouverte aux adhérents. Je tiens à être totalement transparente, c’est mon principal engagement.
Est ce que c’est le « truc en plus » de l’AMAP ? La rencontre ?
Sarah : C’est vrai que j’aime savoir à qui je vend mes produits, voir des visages plus que des chiffres, et surtout transmettre ma passion et mes valeurs à des gens du quartier.
Olivier : En tant qu’adhérent, on s’engage à organiser une ou deux distributions par an, et à aider ponctuellement les producteurs. La solidarité est la première valeur de l’association. Ces temps d’entraide sont effectivement des temps de rencontre, aussi brefs soient ils, et c’est un mode de vie plutôt agréable.
Photographies par Anthony Aceldy.