SOCIÉTÉ. Mardi 7 Novembre, des étudiants de Rennes 2 et autres curieux avaient profité d’une pause déjeuner pour rencontrer Emilie Dardenne, maître de conférence en anglais qui s’intéresse à la question de l’éthique animale, un sujet qui délie particulièrement les langues depuis maintenant quelques années.
Animaux et humains : des enjeux contradictoires ?
Diffusion de vidéos choquantes sur les abattoirs, campagnes de sensibilisation contre l’abandon des animaux domestiques, manifestations d’associations… La rue comme le net sont devenus des tribunes antispécistes. Mais, face à ce flot d’informations violentes, il est plus facile de détourner le regard. La conférence d’Emilie Dardenne était l’occasion de comprendre les enjeux de ce sujet délicat.
Commençons par éclaircir le jargon militant avec quelques définitions utiles. Spécisme : idée selon laquelle la race humaine est supérieure à toutes les autres races animales. Sentience : capacité à avoir des intérêts, des désirs, à éprouver bien-être et plaisir. Les animaux sont des êtres sentients.
Dardenne s’appuie sur la théorie de Peter Singer, un spécialiste australien de l’éthique. Singer prône « l’altruisme efficace ». Autrement dit, il ne dit pas qu’il faut impérativement détruire tous les abattoirs et mettre fin à toutes les expérimentations sur des animaux. Selon lui, les abattoirs et lieux d’élevage ne sont pas une mauvaise chose en soi, mais dans la mesure où ils produisent la souffrance des animaux.
Une éthique chiffrée
Or, cela concerne plus de 90% des établissements. On compte entre 1000 et 3000 milliards de poissons tués dans la souffrance chaque année, et plus de 60 milliards d’oiseaux dans le cadre de la consommation de volaille. Par ailleurs, l’élevage intensif tel qu’on le pratique de nos jours peut nuire à d’autres espèces, y compris la nôtre, à travers la production de gaz à effets de serre, et les conséquences néfastes d’un travail horrifiant sur la psyché des employés d’abattoirs. Donc, selon Mme Dardenne, les chiffres démontrent que l’on devrait effectivement fermer ces établissements.
Doit-on pour autant cesser de faire des expériences sur des animaux ? Pas nécessairement. Lors d’un débat diffusé sur les ondes de la BBC il y a environ dix ans, Singer était d’accord avec un neurochirurgien qui avait fait des essais sur des singes pour parvenir à d’importantes avancées médicales concernant la maladie de Parkinson. Singer estimait que si le sacrifice de quelques singes permettait de sauver des milliers de vies humaines, alors le neurochirurgien s’efforçait bel et bien d’améliorer le bien-être du plus grand nombre d’êtres sentients possible.
Le penseur australien raisonne en termes de calcul. Vous ne savez pas à quelle cause faire un don ? Selon Singer, mieux vaut favoriser l’aide aux animaux d’élevage plutôt qu’aux animaux domestiques, simplement car l’élevage concerne un plus grand nombre d’animaux. D’après le philosophe australien, de simples observations chiffrées, quantifiées, pourraient servir à ajuster notre mode de vie pour améliorer le bien-être des animaux sans renoncer à toutes nos habitudes.
Une position controversée
D’autres penseurs de la question animale, scientifiques et nutritionnistes, estiment que Singer manque d’efficacité, et que la souffrance animale est une nécessité. Ils s’inspirent notamment de la pensée cartésienne, selon laquelle un être sentient est un être capable de formuler des pensées claires, une définition qui ne concernerait que l’homme. Avant Descartes, certains philosophes de l’Antiquité avaient également tendance à structurer l’univers de manière anthropocentriste : l’existence de l’homme, être qui pense, qui réfléchit, qui imagine, est au centre du monde, et les êtres moins évolués qui l’entourent servent à satisfaire ses besoins. Les questionnements éthiques devraient pour eux ne s’appliquer qu’aux relations entre les humains.
D’un autre côté, les idées exprimées au cours de cette conférence déplaisent aux plus fervents défenseurs de la cause animale, et notamment à l’association Sentience, pour qui « l’altruisme efficace » de Singer est au contraire dénué de compassion. Ils dénoncent une société obsédée par la productivité et le calcul. Pour les membres de cette association étudiante, le recours à la souffrance animale n’est jamais excusable, même si elle permet la satisfaction de besoins humains. Ils prônent notamment une meilleure connaissance des régimes végétariens et végétaliens, qui constituent une alternative viable à la consommation de viande. Ils luttent également contre l’utilisation des animaux dans des cas qui ne relèvent aucunement de la nécessité, par exemple dans l’industrie cosmétique, ou le divertissement produit par le cirque. D’après eux, l’homme a développé suffisamment de connaissance et de technologie pour se passer de l’asservissement des animaux, qui paraît d’autant plus cruel qu’il n’est plus vraiment utile dans le monde moderne.
Entre altruisme et efficacité, il est difficile de se faire une opinion. Ces façons raisonnées d’appréhender la cause animale peuvent donner matière à penser. Singer et Dardenne se sont appliqués à livrer des faits nuancés, mais l’interprétation de chacun reste libre.
Émission disponible dans les archives de la radio C Lab.