La question de la dangerosité (ou non) des armes nucléaires actuelles est un champ miné, sur lequel les avis divergent. En France, le débat se fait timide, car le nucléaire est ancré dans l’identité nationale. Le collectif ICAN, lauréat du prix Nobel de la Paix [Voir épisode 1 du dossier, Ndlr], tente néanmoins de consolider cette discussion.
Les bombes actuelles, un symbole de puissance
Aujourd’hui, neuf pays détiennent l‘arme nucléaire. En 2015, les Etats-Unis avaient, selon l’ICAN, 7 200 bombes, la Russie en possédait 7 500, tandis que la France 300. Le Royaume-Uni en avait 215, la Chine 260, l’Israel 80, l’Inde 110, le Pakistan 120, et la Corée du Nord moins de 10. Les armes nucléaires sont des armes de pression psychologique. Les Etats en leur possession ne s’en servent que rarement, si ce n’est jamais. Elles sont principalement un moyen de « dissuasion pervers et menteur » selon Dominique Lalanne, représentant de l’ICAN France. Et pourtant, c’est cette acquisition qui leur permet d’être des puissances influentes sur la sphère internationale.
Les bombes nucléaires actuelles sont 10 à 100 fois plus puissantes que celles d’Hiroshima et Nagasaki. Si une telle bombe explosait à proximité d’une agglomération, les conséquences seraient extrêmes. La proximité des villes avec les centrales nucléaires et les dépôts chimiques provoquerait un effet domino, qui impacterait de nombreux domaines tels que les réseaux de transports, de communication et d’électricité. Ces champs détériorés rendraient alors nos manières de vie impraticables, voire insurmontables. Prenons par exemple la ville de Lyon : si la ville des lumières était touchée, l’entièreté de la région Rhône-Alpes serait alors paralysée.
Vous pouvez visualiser l’impact d’une bombe émise sur votre ville via le site NUKEMAP.
Des risques multiples
Les armes nucléaires représentent des risques considérables qu’il est possible de classifier en trois catégories. Premièrement, il y a des risques de tirs lors de crise, comme la menace actuelle qu’exerce la Corée du Nord, mais également des risques d’accident en procédant à des essais nucléaires ou encore des risques de guerre par erreur.
Ce dernier concerne un exemple qui aurait pu changer le court de l’Histoire. Le 26 septembre 1983, Stanislav Petrov -lieutenant-colonel des forces aériennes soviétiques- a évité l’acharnement nucléaire de l’URSS contre les Etats-Unis. Alors que cinq missiles balistiques américains étaient détectés par le système d’alerte, il a refusé le lancement d’une stratégie nucléaire défensive. Il a reçu une décoration pour « mérites rendus à la patrie au sein des forces armées » quelques mois plus tard. En réalité, l’alerte était due aux reflets des rayons du soleil sur les nuages ! Même si les risques ne sont pas négligeables, la possession d’une telle arme fait face à un débat scindant, à double tranchant.
Ce que disent les « pour »
L’arme nucléaire est un instrument de paix. L’absence de conflits mondiaux ces dernières décennies, alors que de plus en plus d’Etats sont en sa possession, illustre l’idée défendue. Les armes nucléaires gèlent les conflits, c’est le principe du MAD : « Mutual Assured Destruction », soit « l’équilibre de la terreur ».
Les dépenses liées au nucléaire ne sont pas si élevées et sa possession permet de se dispenser de troupes conventionnelles coûteuses. Par ailleurs, il génère plusieurs centaines de milliers d’emplois. Remplacer la dissuasion nucléaire représenterait une somme astronomique.
L’arme nucléaire serait un moyen de diplomatie forte qui serait garant de notre indépendance. Jean-Yves Le Drian s’expliquait sur la dissuasion nucléaire qui donne à la France : « le poids politique nécessaire pour parler comme la France doit parler ».
Finalement, si la France venait à utiliser l’arme nucléaire, ce serait en cas de légitime défense (que la Cour Internationale de Justice reconnaît). C’est une sorte de roue de secours, d’assurance, garantissant de ne pas être agressé.
Ce que répondent les « contre »
Certes, la paix dans le monde est garantie depuis 70 ans, ce qui serait dû à la pression de l’arme nucléaire, selon les Pour. Mais il est difficilement possible d’établir un lien de cause à effet entre la paix et la bombe nucléaire.
S’il est vrai qu’on ne peut pas désinventer la bombe, il est possible de l’interdire, la détruire et l’éliminer, comme les armes biologiques en 1972, les armes chimiques en 1993, les mines antipersonnel en 1997.
L’ICAN développe aussi le fait qu’une telle arme vise les populations civiles, et que par conséquent elle serait immorale. Si une bombe nucléaire est envoyée par une des puissances, la réponse rivale ne sera pas des moindres.
Sa somme est chère. La COP 15 a demandé une somme comparable au niveau mondial en 2015 : 100 milliards d’euros environ. Un budget qui pourrait régler de nombreux problèmes liés au réchauffement climatique. Mardi 12 décembre à Paris, lors du One Planet Summit -un sommet pour le climat- ce chiffre est revenu sur la table. Les chefs d’Etat se sont engagés à fournir, d’ici 2020, 100 milliards de dollars pour aider les pays dits « du Sud » à faire face aux dérèglements climatiques. Cela reste un accord intergouvernemental et non un impératif juridique. La France s’affirme prête à s’engager pour le climat mais aucunement pour la lutte contre le nucléaire, or les deux sont liés. En 2014, elle boycottait une conférence en Autriche visant à réfléchir sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires, ce qui illustre une non-volonté.
De plus, comme l’avance Dominique Lalanne, dire que les bombardements de Nagasaki et Hiroshima ont permis d’économiser des pertes humaines du côté américain est tout à fait relatif. Les archives officielles prouvent aujourd’hui que l’empereur japonais avait annoncé sa capitulation avant d’avoir connaissance de l’attaque. Un tout autre scénario est alors imaginable selon lui.
Manifestation contre le nucléaire en images
Un avenir qui s’affirme ?
Les armes nucléaires sont néanmoins en baisse depuis la guerre froide. Pour l’ICAN, c’est déjà une avancée, même si elle est insuffisante. Le prix Nobel décerné au collectif contre les armes nucléaires est un évènement plutôt inédit dans l’histoire des prix Nobel, c’est une manière pour l’ICAN de gagner en légitimité et en crédibilité. La lutte avec le collectif s’affirme et permet une reconnaissance auprès des entités et institutions officielles. Récemment les armes nucléaires étaient encore au coeur de l’actualité avec les tirs d’essais et d’intimidation de Kim Jong-un depuis la Corée du Nord. On observe une entrée discrète dans le débat public et politique de cette problématique. Les résultats concrets et révolutionnaires ne sont pas encore inscrits dans un processus à long terme, mais leur considération, par la reconnaissance internationale accordée par ce prix Nobel, est pionnier d’une certaine légitimité.
Dossier réalisé par Malika Barbot et Laureline Pinjon.