« Qu’est-ce qu’on veut ? Des papiers ! Pour qui ? Pour tous ! » Les manifestants se répondent en tête et en fin de cortège. Ils étaient 1 500 à Rennes, samedi 2 février, à s’opposer à la nouvelle loi asile-immigration, dite « la loi Collomb ». Plongée au cœur du rassemblement.
Rennes, place de la République. Une effervescence se fait sentir dans la ville. Des groupements se forment petit à petit. Deux se distinguent rapidement. L’un est unicolore, jaune fluo. L’autre, plus disparate et multicolore. En périphérie, les forces de l’ordre, vêtues en noir de la tête au pied. La capitale bretonne s’est particulièrement habituée aux manifestations ces dernières semaines. Dans le second groupe, des tracts circulent. Il y est précisé que leur manifestation est déclarée et sans danger « pour toutes personnes, avec ou sans papiers ». Car leur motivation vient de là. Portée par la Coordination régionale de Bretagne – Pays-de-la-Loire – Normandie solidaire des personnes immigrées, ces manifestants s’opposent à la nouvelle loi asile-immigration. Adrien, intervenant au centre de rétention de Rennes, prend en main le micro. Il se met à lister les expulsions dont il a été témoin.
« Manifester c’est un moyen de se faire entendre, de faire entendre sa situation »
Quelques minutes plus tard, le cortège démarre. Il est demandé de protester bruyamment. Les masses zigzaguent dans les artères rennaises. Pendant une heure les manifestants chantent au rythme des tambours. « So… so… solidarité, avec les sans-papiers, du monde entier ! »
Au micro : Lily Mahzusmgami et ses amies. Lily est arrivée du Congo en 2012. Depuis elle a continuellement des problèmes avec ses papiers. Et sans papiers, pas de logement. Depuis sept ans, elle habite aux quatre coins de la ville de Rennes. A chaque fois, cette situation implique un nouveau déménagement et un changement d’école pour son fils de 8 ans. Elle déplore le manque de confort de son T1 mais surtout la difficulté pour son fils de suivre à l’école alors qu’il change sans cesse de classe. Lily ne sait pas si ses papiers seront renouvelés à la fin mars. Aujourd’hui elle est venue avec des amies, qui sont dans la même situation qu’elle. Elles manifestent contre la « loi Collomb ». Car selon elles, « manifester c’est un moyen de se faire entendre, de faire entendre sa situation ».
Publiée le 10 septembre 2018 au Journal officiel, la loi asile-immigration a trois objectifs pour le gouvernement : la réduction des délais d’instruction de la demande d’asile, le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière et l’amélioration de l’accueil des étrangers admis au séjour pour leurs compétences et leurs talents. Mais pour les manifestants c’est : « une nouvelle régression pour les droits des personnes étrangères en général et des personnes exilées en particulier. » Si les organisateurs reconnaissent qu’elle contient des points positifs, pour eux : « elle a surtout pour objectif de contrôler plus, d’enfermer plus et d’expulser plus les étrangers ». L’obligation pour un demandeur d’asile de résider dans une région précise est particulièrement pointée du doigt. Le collectif réclame l’application des articles 13 et 14 de la Déclaration universelle des droits humains.
Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
Article 14 de la Déclaration universelle des Droits Humains.
La parole est donnée aux sans-papiers
Le cortège déambule pendant une heure dans une ambiance bon enfant, voire festive. Longeant la Vilaine, il traverse le fleuve et accroche au pont Pasteur une banderole. Elle reflète sa sœur jumelle suspendue au-dessus du cours d’eau. On y distingue le slogan : « des papiers pour tous et toutes».
Quelques flocons givrés tombent à présent entre les manifestants. Quelques mètres encore, et les voilà en face de la préfecture d’Ile et Vilaine. Devant la grille dorée, surplombée du drapeau tricolore, se postent deux manifestants qui tiennent en main une large banderole. On y lit : « 1 être humain = 1 être humain ». Ils sont rejoints par d’autres. Certains accrochent leurs slogans aux grilles qui séparent la rue du bâtiment administratif. Un autre tend une ficelle où il pend des tee-shirts noirs et oranges. Ils représentent les enfants disparus en mer.
Les chants et slogans entonnés tout au long du défilé s’estompent. Les micros sont tendus aux premiers concernés : les sans-papiers. Leurs témoignages se métamorphosent rapidement en paroles de chansons rythmées. L’audience frappe dans ses mains, on improvise des pas de danse. Malgré la gravité de leur situation, ils témoignent avec humour. Mais derrière les sourires et la bonne humeur, quelques larmes perlent sur les joues de certains.