CINEMA. En ouverture du Certain Regard de ce 72e Festival de Cannes, l’actrice canadienne Monia Chokri dévoile son tout premier long-métrage : La femme de mon frère. Un film autobiographique, cynique et déjanté sur la jalousie maladive d’une jeune femme pour la compagne de son frère.
Dimanche 30 juin, 37°C dans les rues, les Lyonnais viennent prendre l’air dans les salles obscures du cinéma. Et quelle fraîcheur Monia Chokri nous offre avec son premier long-métrage !
Diffusé en plein printemps du cinéma, on trouve d’abord dans La femme de mon frère la légèreté que le ciel lourd nous interdit. Puis, après quelques effets comiques maîtrisés, un fond plus dramatique reprend ses droits, posant des questions universelles sur la famille, le couple, la solitude
Une histoire de famille
La réalisatrice québécoise pose la complicité d’une fratrie comme point de départ. Un frère et une sœur, seuls contre tous. La relation fusionnelle, très vite, est mise à mal par Éloïse.
Éloïse est une jeune blonde cultivée, médecine, amatrice de restaurants italiens et de jazz. C’est une certaine forme de perfection qui attire le regard de Karim. Et attise les craintes de sa soeur Sophia : ce qui était pour elle le sujet de blagues devienne une véritable tourmente.
Sa thèse n’aura servi à rien car aucun poste ne lui est offert. Sa solitude perpétuelle face à des gens dont l’intelligence n’égale jamais la sienne, ce malaise social, ce sentiment que tout est vain, bouché, perdu, se cumulent jusqu’au trop plein. Tout cela donne à l’insouciance de la première heure un arrière-goût amer.
Par ce personnage cynique, parfois antipathique et toujours sincère dans ses angoisses, Monia Chokri nous montre toutes les désillusions, les rancœurs qui peuvent nourrir une jalousie maladive.
Très justement interprété par Anne-Elizabeth Bossé, Patrick Hivon et Évelyne Brochu, le film prend des tournures inattendues, porté par un montage électrique qui n’hésite pas à surcuter, opérer de franches ruptures de ton, laissant aux silences gênants une vraisemblance troublante. Et si les effets comiques sont particulièrement maîtrisés, on comprend que ce qui se joue a quelque chose de profondément mélancolique. Sophia peine à accepter que le dernier pilier de son enfance et de son adolescence cède à son tour alors que les désillusions tombent en série.
Spectres de Dolan
Par un cadrage serré où les zooms et les plans rapprochés s’assument pleinement, Monia Chokri signe un portrait autobiographique sincère et prometteur. Pourtant, parce qu’elle était l’actrice principale du film Les amours imaginaires de Xavier Dolan, parce que le film est résolument québécois et parce qu’il traite des relations familiales, les comparaisons avec le réalisateur fétiche de la croisette semblent de bon ton.
Si l’on en croit la critique, l’ombre de Xavier Dolan plane sur le film alors même que La femme de mon frère développe une esthétique pastel, un cynisme et une sensibilité propres. Pour l’œuvre qui laisse à une réalisatrice et son personnage féminin toute l’intelligence et l’indépendance qu’elles méritent, se mesurer au réalisateur canadien n’est pas seulement un défi injustement imposé mais surtout la preuve que la sélection d’un certain regard n’est bien souvent accueilli que d’un regard bien trop certain.
On en vient à se demander si, en ce mois de juillet caniculaire, il ne serait pas bon d’arriver dans les salles de cinéma à froid. Et laisser aux films la singularité qu’ils revendiquent.