CRITIQUE. Matthias et Maxime est le huitième long-métrage de Xavier Dolan. Le jeune réalisateur québécois de 30 ans signe le portrait d’une génération qui questionne ses repères. Le film a déjà été nommé pour la Palme d’or, le Prix du scénario et la Queer Palm du dernier festival de Cannes, avant même qu’il ne sorte en salle le 16 octobre. Dans le cadre du BFI London Festival 2019, nous avons pu le visionner.
Suite à un baiser pour les besoins d’un court-métrage amateur, Matthias et Maxime, amis d’enfance, ressentent une attirance mutuelle, inédite. Au milieu d’une bande d’amis dont l’hétérosexualité est un postulat — sinon un fondement —, les deux trentenaires sont amenés à interroger leurs identités, leurs projets et même leurs souvenirs.
Filmer l’érosion des certitudes
Véritable phénomène médiatique du festival de Cannes, Matthias et Maxime vient chatouiller la fragilité des certitudes. Maxime, interprété par Xavier Dolan, finit par appréhender un départ éminent en Australie qu’il avait pourtant réfléchi pendant des mois. Matthias, confortablement installé dans une vie professionnelle et familiale stable, réapprend à hésiter. Dans cette vie dictée par les évidences, le doute prend la place que les problèmes n’occupent pas.
Dolan filme au plus près cette bande d’amis que les aspirations familiales, professionnelles pourraient déliter. Par des images simples, mais frappantes, le réalisateur canadien questionne les repères, si souvent portés en évidences. On se rappellera par exemple cette scène où Maxime, arrêté à un feu, fixe une affiche publicitaire où la famille « parfaite », nucléaire, étale son bonheur autour d’un bon repas. Un simple regard de Maxime et nous comprenons dès ces premières minutes de film qu’il est question de faire tomber les certitudes. Ce modèle hétérosexuel à deux enfants – bien-sûr une fille et un garçon – a dans son omniprésence un archaïsme dont Dolan nous a déjà fait la démonstration par le passé.
L’âge de raison
C’est là toute la force de ce nouveau long-métrage : il puise dans ses anciens films ce qui avait fait sa force et, avec une certaine maturité, réinvestit ses codes pour des images fortes, parlantes. La musique se fait alors plus ponctuelle, délicieusement menée par Jean-Michel Blais, couronné du Cannes Soundtrack Award. Les gros plans, qui avaient saturé Juste la fin du monde, sont progressivement amenés. En découlent des scènes plus mémorables, intensifiées par des montées en puissance jusque-là inégalées.
Lorsque Matthias, tourmenté, part au petit matin nager dans le lac et s’y perd, on approche au plus près des gouttes d’eau pour venir se perdre à ses côtés. Pour le spectateur, l’errance du personnage n’est plus seulement visible, elle est vécue à ses côtés. Lorsqu’il vient à bout de cette éprouvante traversée du lac, sort péniblement de l’eau, tout se passe devant le regard paniqué de ses amis et, d’un subtile mouvement de caméra, de Max. On comprend que si l’inquiétude est contagieuse, elle est surtout transmissible par les baisers.
Un drame sans enjeux
Xavier Dolan laisse l’interrogation alourdir l’apparente légèreté de ces parcours. C’est là où le bas blesse. Dans une narration impeccable, rythmée par des dialogues incisifs, le réalisateur québécois insuffle du drame. La deuxième partie du film focalise en effet sur la crise identitaire que traverse Matthias. Alors que le film nous emportait dans la complicité nerveuse de cette bande d’amis, il prend d’un coup un tournant plus pathétique. Pourtant, tous les aspects potentiellement graves du film sont peu à peu évincés. Le potentiel rejet du groupe de pairs, la dépression de la mère de Max (brillamment incarnée par Anne Dorval) sont des pistes avortées. Le focus est mis sur un mal-être qui, sans invraisemblance, manque d’enjeux.
La question des identités sexuelles, de leurs interrogations et de leur porosité n’est pas nouvelle. S’il est vrai que sa normalisation est toujours nécessaire, le public acquis au jeune réalisateur québécois peinera à y trouver l’intensité d’un J’ai tué ma mère ou même du plus récent The life and death of John F. Donovan. Quand on connait les innombrables difficultés auxquelles se heurte la majorité des LGBTI+ (Lesbiennes, Gays, Bis, Transgenres, Intersexué.e.s…), on peine à trouver dans ce parcours vers la bisexualité la violence qui le caractérise trop souvent. Si l’intensité de la crise que vit Matthias vis-à-vis de son propre désir pour son ami est vraisemblable, elle reste moindre sur le plan dramatique.
Dolan prêche une parole qui, sans décevoir les convertis, ne sera que la pale de copie des prises de position qu’on lui connaît. Cette réalisation mature moins poussive, en prenant parfois du recul, permet de donner l’illusion de l’intensité. On ne pourra que déplorer que le scénario peine à en faire la démonstration.