SERVICE PUBLIC. Portée par le ministre Gérald Darmanin, la réforme territoriale des Finances publiques ne passe pas chez les fonctionnaires. Des promesses qui ne suffisent pas à convaincre certains agents publics, élus locaux et habitants. En pleine immersion dans une trésorerie du département de l’Indre au mois de septembre, notre équipe a pu constater un mécontentement, de moins en moins latent.
Réduire le nombre de structures de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP), et qui plus est d’emplois, est l’objectif à long terme du gouvernement. Pour faire des économies bien sûr, en rationalisant au maximum les nouveaux outils à sa disposition, qui nécessitent de moins en moins de personnel : prélèvement à la source, déclaration sur internet, paiement en ligne.
Mais réorganiser les attributions des différents centres et diviser le nombre de leur implantation, par deux ou trois, à l’échelle d’un département, ne peut se faire que progressivement. Bercy semble avoir compris ce point. Aux yeux des syndicats et de certains élus, le ministère va un peu trop vite en besogne.
Vers un service public low-cost ?
Pour pallier aux fermetures, l’État prévoit l’augmentation de 30% des accueils de proximité, avec la création de 300 nouveaux espaces « France services » à l’échelle nationale, à compter du 1er janvier 2020. Actuelles « maisons des services publiques », leur mission est de faire perdurer un semblant de présence étatique en zone rurale. Les agents et les élus crient au scandale. Ils dénoncent un service de proximité de bien moindre qualité, puisque géré par des contractuels, formés uniquement à guider les contribuables dans leurs démarches en ligne.
En parallèle, les paiements en espèces ne seront plus possibles dans les trésoreries de 20 départements tests, dès le 1er janvier, et dans tout le pays dès le 1er juillet. À terme, le poste de caissier du trésor sera bel et bien supprimé, imposant au contribuable un paiement dématérialisé en ligne. En revanche, une solution, très certainement temporaire, permettra aux adeptes du liquide de payer en euros physiques. 4 900 buralistes triés sur le volet seront ainsi habilités à encaisser les espèces des contribuables venus payer leurs impôts ou leurs factures destinées aux trésoreries (eau, ordures ménagères ou location de salles des fêtes par exemple).
D’une manière générale, la réforme va en contresens des attentes exprimées dernièrement par une partie de la population hexagonale, réclamant plus de services publics et moins de centralisation. C’est aussi de cela qu’il s’agit. Même si chaque direction départementale a pris soin de répartir les diverses compétences au sein de plusieurs centres de son département, cette situation n’est que temporaire. À terme, tous les services devraient rejoindre les chefs-lieux. Un rétropédalage massif de la décentralisation, déjà si lente, qui irait donc totalement à l’encontre des revendications des récents mouvements sociaux.
Repenser un modèle en perdition
Le besoin d’économies se ferait de plus en plus ressentir, de quoi se demander s’il ne faudrait-il pas changer profondément le système, plutôt que de le faire « mourir à feu doux ».
Faciliter le travail des fonctionnaires permettrait de gagner en efficacité. À voir les logiciels avec lesquels ils travaillent au quotidien, il y a de quoi avoir peur. Si leurs noms évoquent la mythologie grecque et laisse présager une ergonomie parfaite (Adonis, Delphes, Helios, Nausicaa ou encore Ulysse), la réalité est bien différente. En 2019, à l’ère de la reconnaissance faciale et digitale, la DGFiP travaille avec des logiciels internes aussi ergonomiques que Windows XP. À l’image de tout bon logiciel étatique qui se respecte, puisque l’État en matière numérique est loin d’être riche comme Crésus. Bugs informatiques après une demi-heure de saisie, fonctionnalités supprimées et doublons en tout genre ne sont que quelques exemples.
Dans une lettre adressée à ses agents, que nous nous sommes procurés, le ministre promettait le 4 septembre dernier une augmentation de 40% du budget informatique afin d’amorcer une transformation notoire. Encore faut-il savoir à quelle base il se fie.
Remettre les collectivités locales à leur juste place serait une solution complémentaire. Leur rôle dans cette faillite de la DGFiP n’étant pas négligeable. De plus en plus, les fonctionnaires des trésoreries et des Services des Impôts aux Particuliers (SIP) ou aux Entreprises (SIE) sont confrontés à des interlocuteurs non formés, voire inefficaces. Les maires ruraux tendent à être élus sans carrière politique préalable, et les secrétaires de mairie ne reçoivent pas de formations suffisantes pour apprendre la maîtrise des logiciels. Ils ou elles se retrouvent donc à appeler les centres des Finances publiques pour obtenir de multiples explications basiques. Et que dire des maires qui ne respectent pas les protocoles imposés par la loi ou qui ne signent pas les documents. Une perte de temps considérable, et qui plus est d’argent.
Certains élus locaux réagissent de manière agressive. Jadis habitués à plus de bienveillance de la part des trésoriers ou inspecteurs et de leurs équipes, certains maires, adjoints ou présidents de communautés de communes n’hésitent pas à hausser le ton. Espérant purement et simplement qu’ils leur mâcheront le travail comme avant. En off, une responsable se lâche devant ses équipes : « le temps de l’assistanat est révolu. Nous n’avons plus le temps pour cela. » L’État a réagi en actant l’intervention de « conseillers aux décideurs locaux », pour mettre fin au rôle de conseil des agents de la DGFiP, à l’horizon 2021. Reste à savoir qui les paiera.