POLITIQUE. Aux élections générales de décembre 2015, Vox obtient 0,23% des voix. Quatre ans plus tard, il devient la troisième force politique d’Espagne. Retour sur la montée en puissance d’un parti qui a su casser les codes.
Le 10 novembre 2019, le parti d’extrême-droite Vox séduit plus d’un électeur espagnol sur six. Cette surprise électorale illustre la recomposition du paysage politique du pays. Depuis quatre ans, l’Espagne peine à trouver une stabilité politique. Le mouvement indépendantiste en Catalogne cristallise ces tensions. Vox fait de cette fracture son cheval de bataille. Désormais dans l’opposition, sa voix compte. En pleine crise du coronavirus, les divergences au sommet de l’État atteignent leur apogée.
La fragmentation de l’échiquier politique
Vox voit le jour en décembre 2013. Ce nouveau mouvement convoite les électeurs de droite désabusés par le Parti populaire (PP), à l’image de son président-vedette Santiago Abascal. D’élections en élections, Vox tisse sa toile.
Son premier coup d’éclat survient en décembre 2018. Avec près de 11% des voix, Vox obtient 12 des 109 sièges du parlement d’Andalousie. Primo, l’extrême-droite entre pour la première fois dans un parlement espagnol depuis la transition démocratique. Secundo, Vox déroute les socialistes du PSOE sur leur propre terrain. L’irruption de Vox dans le paysage politique espagnol est amorcée. Comment expliquer cette progression fulgurante ?
La fin du bipartisme permet l’émergence de Vox. En 1975, le dictateur Franco disparaît et avec lui le monopole du parti unique Mouvement National. L’Espagne écrit alors une nouvelle page de son histoire. Deux partis se distinguent : le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) à gauche et le Parti populaire (PP) à droite. Depuis 1986, tous les présidents du gouvernement espagnol ont appartenu à l’une ou l’autre de ces formations.
Mais en 2016, l’Espagne plonge dans une crise politique sans précédent. Ni le Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy, au pouvoir depuis quatre ans, ni Pedro Sánchez (PSOE) n’obtiennent de majorité absolue au parlement. Les rancunes accumulées par les diverses forces politiques rendent impossible le dialogue. L’Espagne doit composer sans gouvernement stable pendant dix mois.
Les critiques s’intensifient contre le PSOE et le PP qui refusent une alliance. Leur déclin favorise la montée de deux néophytes : Ciudadanos et Podemos. Apparu en 2006, le parti de centre droit réformiste Ciudadanos (Citoyens, Cs) devient la troisième force politique d’Espagne en avril 2019. Arrive juste derrière la coalition d’extrême-gauche Unidas Podemos (Unies, nous pouvons) menée par Pablo Iglesias. Sans leur soutien, les deux partis historiques sont désormais incapables de gouverner.
Les élections générales anticipées du 28 avril 2019 (28-A) ne dégagent pas de majorité claire. Vox fait son entrée au Congrès avec 24 députés. Après d’infructueuses négociations entre Pedro Sánchez et Pablo Iglesias, le roi Philippe VI est contraint d’annoncer de nouvelles élections générales.
Le tournant du 10-N 2019
Le scrutin du 10 novembre 2019 (10-N) n’est pas exempt de surprises. Ciudadanos perd 47 de ses 57 députés. Le PSOE et Unidas Podemos reculent mais parviennent à former ensemble un gouvernement de coalition. Pedro Sánchez remporte l’investiture de justesse avec 167 voix pour, 165 contre et 18 abstentions. L’incertitude reste de mise.
Loin de ces débâcles politiques, on observe la percée historique de Vox. Désormais renforcé par 52 députés (+28) et 15,08% des voix, Vox devient la troisième force politique d’Espagne. Le parti d’extrême-droite bénéficie d’un fort soutien dans le monde rural (particulièrement dans la région de Murcie et en Andalousie) et siphonne les votes de Ciudadanos.
Santiago Abascal au pupitre de Vox © Contando Estrelas, Wikipédia
Pour l’écrivain Carlos García Miranda, dans 20minutes, la montée de Vox s’explique par « l’incertitude de Ciudadanos, les exigences de Podemos, l’asthénie de Sánchez et la corruption du Parti Populaire. » Se présentant comme un parti anti-système, Vox dénonce le « politiquement correct » de ses concurrents.
L’affirmation décomplexée de la priorité nationale
Quelles sont les forces du programme de Vox ? Interrogé par WorldZine, Carlos González Martín, 30 ans, professeur des écoles, affirme que « Vox est le seul parti qui défend exclusivement les intérêts de l’Espagne. » Si les partis traditionnels semblent déconnectés du peuple, Vox le représente. « Peu lui importe l’image internationale du pays », ajoute ce sympathisant.
Pour José Rama Caamaño, professeur de science politique à l’université autonome de Madrid, Vox se fait le « grand défenseur des valeurs traditionnelles. » Le parti milite pour l’instauration d’une « loi de protection de la tauromachie, comme partie du patrimoine culturel espagnol. » Selon le spécialiste, Vox « interpelle constamment le peuple espagnol et targue son identité. »
Le parti d’Abascal présente 100 propositions d’urgence face aux « problèmes qui inquiètent les espagnols : l’unité de l’Espagne, la destruction de la classe moyenne, les impôts élevés, la sécurité de nos frontières et le recul des libertés. » Ses positions euro-sceptiques et anti-immigration se durcissent. Vox promet « l’expulsion des immigrants illégaux » et de ceux qui ont « récidivé à commettre des infractions légères ou qui ont commis un délit grave. » Le parti prévoit de complexifier les conditions d’accès à la nationalité en élevant « l’exigence au niveau de la langue, des impôts et de l’intégration. »
Vox propose également la création d’un ministère de la Famille et l’instauration du PIN parental. Cette mesure, déjà appliquée en Murcie, impose une autorisation explicite des parents pour chaque activité scolaire au contenu « éthique, social, civique, moral ou sexuel. »
Fermement hostile à l’avortement, Vox désavoue le mouvement féministe. Le parti rejette l’appellation de « féminicide » et remet en question la loi sur la violence de genre, souhaitant éliminer la circonstance aggravante machiste qui alourdit les peines. Diego*, fonctionnaire madrilène de 57 ans, abhorre le « mépris envers les victimes de violence machiste » dont fait preuve Vox. Il estime que le parti « tente de diffuser son message de haine au sein de la population en engendrant des rumeurs, du mécontentement et de la peur. »
Paula*, 22 ans, qualifie Vox de « parti sensationnaliste » qui joue de « la désinformation des citoyens. » L’étudiante en sociologie alerte sur l’emploi des termes « populiste » et « xénophobe. » « Il faut utiliser ces qualificatifs avec précaution car il s’agit de sujets très sérieux », signale-t-elle. Elle regrette le « manque d’importance accordé au changement climatique dans le discours de Vox » qu’elle considère « irresponsable. »
Table ronde de Vox à Palma « Unis pour l’Espagne ! » © Flickr
Pour l’unité de l’Espagne
Vox s’oppose au régime actuel de l’Espagne, soit un État de communautés autonomes qui disposent d’un parlement propre. José Rama Caamaño estime que « Vox parvient à attirer les électeurs défiant le système politique actuel. » Le maître-mot de sa stratégie : unité.
L’attaque des autonomies est le grand bastion de Vox. Son discours s’appuie sur un État centralisateur
José Rama Caamaño
Les velléités indépendantistes de la Catalogne fragilisent le pays. Pour défendre l’unité espagnole, Vox entend mettre fin à la crise catalane. « Vox aspire à satisfaire l’électorat qui voit d’un mauvais œil l’immobilisme du gouvernement » d’après Caamaño. Le parti réclame l’application immédiate de l’article 155 de la Constitution de 1978. Ce mécanisme permet de forcer une communauté autonome à respecter les obligations et les lois de la Constitution. Vox exige la suppression du statut d’autonomie de la Catalogne et le bannissement des partis régionalistes.
Dans un tweet du 9 janvier 2016, Santiago Abascal dénonce l’investiture
de Carles Puigdemont comme président de la Catalogne « Le coup d’État continue. Jusque quand
ces traîtres et voleurs sécessionnistes resteront-ils impunis ? »
Vox est le seul parti qui n’a pas peur de lutter contre l’indépendantisme catalan
Carlos González Martín, professeur des écoles
La période exceptionnelle que traverse l’Espagne ne domine pas la désunion politique. Face à la crise sanitaire du Covid-19, Santiago Abascal réclame la démission de Pedro Sánchez et la formation d’un « gouvernement d’urgence national » réunissant le PSOE, le PP et Vox. El País rapporte que le 20 avril 2020, Vox dépose une plainte contre Sánchez et les membres du gouvernement, les accusant de « délits d’imprudence grave ayant provoqué la mort. »
Vox populi, Vox dei ?
* Le prénom a été modifié