REPORTAGE. Transformer une maison familiale de campagne en lieu de vie accueillant des jeunes en difficulté, c’est le projet un peu fou que s’est fixée l’équipe du centre « Au-delà de la rencontre ». Elle propose sept places à des enfants ou des jeunes rencontrant des difficultés d’adaptation dans leur milieu de vie. WorldZine est allé à la rencontre des porteurs de ce projet.
Situé à Serres-Rustaing, petit village aux alentours de Tarbes dans les Hautes-Pyrénées, ce lieu de vie au nom symbolique se compose d’une maison de campagne entourée d’un terrain global de quatre hectares dont des prairies, des champs et des bois. Solange Verges, l’une des fondatrices du centre aujourd’hui responsable administrative, et sa fille Bénédicte Ouarma, actuelle responsable permanent du centre, ont accepté de nous recevoir par un après-midi pluvieux pour répondre à nos questions et nous proposer une visite guidée du site.
L’envie de fonctionner « comme une famille »
Solange Verges, éducatrice spécialisée ayant d’abord travaillé dans des grosses structures, a eu envie d’ouvrir « une structure réduite » permettant « une prise en charge plus individualisée » et un fonctionnement davantage familial. Elle a ainsi choisi d’ouvrir ce lieu de vie dans sa maison familiale de campagne en 2007 en coopération deux autres collègues. Le projet est aujourd’hui poursuivi par sa fille Bénédicte Ouarma qui est désormais responsable de la structure.
L’équipe du centre souligne la spécificité d’un lieu de vie par rapport à d’autres structures plus importantes mais « très loins de la réalité ». Par opposition, la vie au centre est basée sur un accompagnement des jeunes au quotidien avec la volonté de « fonctionner comme une famille française lambda. » Les jeunes sont accompagnés par l’équipe du centre lors de la préparation des repas, du ménage ou encore de l’entretien de la maison. Plus largement, ils sont poussés à l’autonomie : ils n’ont pas de lave-vaisselle et font la vaisselle à la main avec l’équipe, ils n’ont pas accès à la machine à laver et doivent s’occuper eux-mêmes de leur linge.
Les jeunes accueillis le sont pour cause de problématiques sociales, familiales, psychologiques ou psychiatriques. Depuis 2012, une place au moins parmi les sept proposées par le centre est réservée à des mineurs non accompagnés (essentiellement des migrants en provenance d’Afrique ou d’Asie). Cette diversité des profils permet d’encourager « la tolérance et la différence » et de créer des groupes qui peuvent être « tirés vers le haut » par certains même si l’équipe reconnaît volontiers que « tout le monde ne peut pas être au même niveau. »
Ça se passe comme dans une famille : il y a par exemple la difficulté que ceux qui n’ont pas de troubles psychologiques ou psychiatriques soient plus patients avec ceux en crise.
Bénédicte Ouarma, responsable du centre
Les règles de la maison
Si chaque profil a ses particularités, les jeunes sont soumis aux mêmes règles afin d’assurer le bon fonctionnement du lieu de vie. Un règlement détaille en effet l’organisation de la maison : l’heure de coucher est actuellement fixée à 21h30, l’usage du téléphone n’est pas autorisé la nuit, la consommation de tabac peut être modulée pour les mineurs de plus de 16 ans (avec un maximum de 4 cigarettes par jour sur des temps individuels). Bénédicte Ouarma souligne que ces règles sont plus strictes que celles des structures d’accueil classiques et engagent davantage les jeunes dans leur placement.
L’équipe met néanmoins l’accent sur la sanction, par opposition à la punition. Les jeunes qui commettent des dégradations doivent réparer en achetant les outils ou matériaux nécessaires avec leur argent ou effectuer un travail d’intérêt général. Il s’agit pour eux de reprendre leur place dans le groupe. De la même manière, Solange Verges souligne l’importance des excuses en direction du collectif si des insultes ont été proférées.
On leur dit : « Si tu dégrades, tu payes : financièrement et manuellement ». Il y a un besoin de responsabilisation.
Solange Verges, fondatrice du centre et responsable administrative.
Après une présentation du lieu de vie par leur éducateur référent (aide sociale à l’enfance, protection judiciaire jeunesse si condamnation pénale), les jeunes choisissent d’y aller pour un mois d’essai (renouvelable une fois). À l’issue de cette période, un nouveau point est fait avec l’éducateur sur la situation entre l’équipe, le jeune et son projet pour déterminer la suite.
Ils savent où ils vont : ils se mettent dans la démarche d’être partie prenante du placement (plus compliqué s’il y a une condamnation pénale)
Bénédicte Ouarma, responsable du centre.
Dans la majorité des cas, la durée du placement est ensuite déterminée en fonction des ordonnances de placement du juge des enfants (six mois, un an, dans ans) même s’il est possible d’ajuster cette période selon la vitesse du retour en famille ou de l’insertion.
La ferme pédagogique : un outil précieux
L’existence d’une ferme pédagogique attenante au lieu de vie est une autre spécificité par rapport à des centres d’accueil de jeunes plus classiques. Elle sert de « support d’activité » pour les jeunes et leur permet de retrouver un rythme de vie à travers le soin apporté aux animaux.
Quand les jeunes arrivent, ils sont en décrochage scolaire, il faut les occuper et leur redonner un rythme. Les animaux mangent et boivent tous les jours, ce qui crée un rythme de vie lié aux soins des animaux.
Bénédicte Ouarma, responsable du centre.
Ce nouveau rythme encourage les jeunes à « avoir envie de refaire quelque chose », à « reprendre une activité, une formation et un emploi. »
L’équipe du centre insiste également sur le rôle de « médiateurs » que jouent les animaux. Les relations qui se nouent avec les animaux leur permettent en effet d’analyser le comportement des jeunes : s’ils enregistrent les conseils qui leur sont donnés, s’ils assurent leur sécurité et celle des animaux, s’ils font preuve d’autonomie… Les animaux peuvent amener à un dialogue entre les jeunes et les éducateurs sur des sujets personnels. Ils ont aussi tendance à permettre « l’apaisement » : « les jeunes se rendent compte que crier ou avoir des gestes brusques pousse l’animal à se défendre. » Tout ceci participe à assurer leur réintégration.
Quelles perspectives de réintégration ?
Quand la prise en charge est terminée, les jeunes vivent de leurs propres moyens, retournent dans leur famille ou sont placés en contrat jeune majeur. S’ils partent avant leurs 18 ans, idéalement, ils retournent dans leur famille en étant suivi par les services de placement mais cela n’est pas toujours réalisable. Quoi qu’il en soit, Bénédicte Ouarma et Solange Verges insistent toutes deux sur le sens qui guide leur action.
Ils savent qu’ils peuvent revenir s’ils ont besoin de quelque chose, au-delà du placement. On n’a pas des nouvelles de tous, ce n’est pas à nous d’en donner mais ils savent qu’ils peuvent appeler s’ils ont besoin. Certains gardent contact et nous appellent pour avoir des conseils.
Bénédicte Ouarma, responsable du centre.
Si tous les placements au lieu de vie ne sont pas un succès, l’équipe assure que « beaucoup arrivent à s’intégrer ». Bénédicte Ouarma prend l’exemple de Bilal*, arrivé au centre en ayant seulement suivi l’école coranique, qui a obtenu un CAP carrosserie puis un CAP vente. Il est aujourd’hui salarié en tant que mécanicien dans un garage et envisage d’acheter son propre appartement. Plus généralement, l’action des éducateurs et la spécificité du cadre de vie joue un rôle essentiel. « On a l’exemple de Nathan* présent au centre depuis trois ans et demi : il faisait des crises terribles au début, il en fait maintenant trois ou quatre dans l’année. Il a appris à s’isoler avec son chat ou dans sa chambre et vient s’excuser après coup », confie Bénédicte Ouarma.
Des contraintes économiques qui pèsent sur la vie du centre
Le fonctionnement du centre nécessite la présence d’une équipe importante : responsables, secrétaire, éducateur spécialisé ou technique, infirmier, surveillant de nuit… Or, Solange Verges explique qu’il était « très difficile » de s’en sortir financièrement avant qu’une jurisprudence de 2016 rende les départements incompétents à tarifer les lieux de vie. Si le département des Hautes-Pyrénées et la PJJ (Direction de la protection judiciaire de la jeunesse) refusent de s’y conformer et versent toujours 150€ par jour par jeune, les autres départements versent 250€ par jeune et permettent d’assurer la survie financière du centre.
On n’a pas le temps de faire des dossiers et de courir après les subventions. On veut simplement être payé au prix qu’on demande.
Bénédicte Ouarma, responsable du centre.
Elle explique que 80% de l’argent est utilisé pour payer le personnel et les charges sociales, les 20% restants servant à financer l’alimentation, les activités et les déplacements des jeunes.
Malgré ces difficultés, Bénédicte Ouarma et Solange Verges revendiquent leur fierté de l’accompagnement mené auprès des jeunes. Elles souhaitent désormais « pouvoir moderniser » le lieu de vie en faisant des travaux et « continuer à ouvrir les partenariats, à travailler, à échanger. »
* Les prénoms ont été modifiés