REPORTAGE. Un an après le début de la pandémie, le SARS-CoV-2 a imposé aux kinésithérapeutes libéraux de repenser durablement l’accueil de leurs patients, sans pour autant bouleverser profondément les consultations. Immersion dans un cabinet à Vincennes (Val-de-Marne) où le coronavirus est malgré tout présent de la tête aux pieds.
Le coronavirus est omniprésent sans l’être. C’est le constat ambivalent qui s’impose après une matinée passée au cabinet des quatre masseurs-kinésithérapeutes du quartier Diderot à Vincennes. Impossible pour ces soignants, pour qui le toucher est un métier, de se prémunir totalement du virus. En première ligne, ils ont dû s’adapter. Le 24 avril 2020, le conseil de l’ordre de la profession recommandait justement aux professionnels d’espacer chaque consultation d’une vingtaine de minutes, d’aérer la salle de travail et de la désinfecter.
Mais dès juin, face aux rythmes asynchrones des différents praticiens du cabinet et dans un souci de viabilité économique, le battement sanitaire est passé à la trappe. « Cela nous contraignait à réduire drastiquement notre nombre de patients journalier », se remémore Vincent Aufrères, l’un des membres du cabinet. Exit la pause et retour aux habitudes de travail ordinaires. Avec quelques bouleversements toutefois. Fenêtres entrouvertes en permanence, désinfection approximative de la table médicale d’examen et traditionnel port du masque : l’équipe vincennoise a repensé en profondeur l’accueil de ses patients à l’issue du premier confinement, qui avait contraint le quatuor libéral au chômage technique.
La chaussette, arme fatale face au coronavirus ?
Mais en entrant dans le cabinet, c’est loin d’être le changement le plus frappant. De l’extérieur, la façade ne paie pas de mine. Ses vitres opaques, de gris vêtues, laissent présager un cabinet comme les autres. Pourtant après avoir franchi le pas de la porte, vous entrez dans une salle d’attente désaffectée : un sas transitoire prévu pour vous acheminer vers une bulle anti-Covid. Une « zone protégée » à partir de laquelle la viscosité du gel hydro-alcoolique et le retrait du soulier ne sont pas en option. Si la première règle est devenue presque un rituel pour tout un chacun, la nécessité de se déplacer en chaussettes interroge.
Censée soustraire le cabinet aux éventuelles traces de virus emmagasinées par la semelle sur son trajet urbain, cette nouvelle pratique semble pourtant avoir été adoptée par la patientèle. En revanche, si celle-ci a pris ce nouveau pli sans broncher, ses doigts de pied quant à eux se sont parfois manifestés. Car entre le coton et la kératine, c’est souvent le tranchant de l’ongle qui a le dernier mot. Quoi qu’il en soit le bannissement des chaussures pourrait se pérenniser à long terme, comme le confie le dynamique Vincent Aufrères : « C’est plus agréable de travailler dans de telles conditions : nos locaux sont beaucoup plus propres, au quotidien. En mai 2020, c’était pour éviter d’avoir à laver le sol quotidiennement, voire entre chaque patient, comme les nouveaux avis le laissaient vaguement entendre. Aujourd’hui, c’est surtout devenu une vraie question de bien-être. »
Un refrain pandémique entêtant sur les lèvres des patients
Absent structurant, le coronavirus chamboule relativement peu le protocole de soins de ces masseurs. Le cabinet représente néanmoins un microcosme à l’heure de la Covid-19. Lors des exercices, les langues se délient. Pas une consultation sans son lot d’allusions à la vaccination. Pas une matinée sans qu’un patient, au masque récalcitrant, ne laisse sa bouche montrer le bout de son nez. Pas une demi-heure de consultation sans que les conséquences de la pandémie sur l’individu, l’économie ou le trafic ne soient évoquées. Une septuagénaire lance : « Avec le reconfinement, il y a moins de monde dans les rues. C’est plus facile de se garer pour venir aux rendez-vous. Ça serait bien que cela reste comme ça ! » Et une autre patiente d’avouer transgresser les restrictions en matière de déplacement. En bref, Covid toujours, frivolité nulle part. Même les banalités météorologiques sont reléguées au second plan. C’est dire. Extérioriser les pensées négatives, entre quatre murs couleur crème, c’est aussi transformer les kinésithérapeutes, l’espace d’un instant, en psychologues.
Nouvelle activité s’il en est, les soins prodigués aux malades guéris de la Covid-19 modifient également les habitudes de travail au cabinet. « Chaque collègue et moi-même avons ou avons eu un patient en rééducation post-Covid depuis mai dernier. En ce moment, il y en a deux qui sont soignés au cabinet », rapporte Vincent Aufrères. Soit près de 5% du nombre total de patients que charrie la structure. Mais les mesures prises ne suffisent pas toujours à estomper les peurs de certains malades, souvent à risque, peu enclins à retourner dans un antre médical propice aux infections nosocomiales, contractées dans le milieu médical.