CANNABIS. D’après une consultation citoyenne en ligne menée par le Parlement (début 2021) à laquelle ont participé 250 000 Français, 80% se déclarent favorables à l’autorisation de la consommation du cannabis et sa production dans un cadre régi par la loi. Le président Emmanuel Macron a récemment fermé la porte à toute légalisation, mais le débat n’en demeure pas moins vif. Retour sur un sujet qui pourrait peser dans le débat à l’approche de l’élection présidentielle de 2022.
Quelle que soit leur position sur le débat entourant la légalisation du cannabis, il est à noter que l’ensemble des acteurs interrogés s’accordent à dire que les politiques menées en France pour limiter la consommation de cannabis sont un échec. Les Français sont en effet les premiers consommateurs de cannabis d’Europe : selon le rapport européen sur les drogues de 2017, 11% des 11-64 ans et 21% des 15-34 ans en ont consommé au moins une fois dans l’année.
Si la loi concernant l’usage de drogue est répressive — les usagers pouvant être condamnés à un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende — cela se traduit rarement dans les faits. Depuis mars 2019, il est possible d’échapper à une condamnation en échange du versement d’une amende forfaitaire de 200 euros. Michèle Victory, députée socialiste de l’Ardèche et vice-présidente de la mission d’information parlementaire sur la réglementation et les différents usages du cannabis, explique à WorldZine que « la législation en cours qui pénalise la consommation du cannabis ne favorise pas la baisse de la consommation de cannabis ».
Une drogue aux effets dangereux sur la santé
Jean-Claude Alvarez, chef du service toxicologie du CHU de Garches, détaille les nombreux effets du cannabis sur la santé. L’un des principes actifs du cannabis, le THC, a des effets psychoactifs : « il joue sur des récepteurs au niveau du cerveau et modifie le comportement des individus ». Or, la concentration en THC du cannabis a eu tendance à augmenter au cours des dernières années, passant de 6-7% en moyenne à 28%. Soit une augmentation par trois des effets du THC sur l’organisme.
Le cannabis est une drogue toxique dangereuse aux effets très importants
Jean-Claude Alvarez, chef du service toxicologie du CHU de Garches.
Le médecin explique également que des effets addictogènes rendent les consommateurs accros au cannabis. La plante récréative étant généralement utilisée avec du tabac, les usagers sont aussi exposés aux effets nocifs et addictifs de ce dernier : « À partir du moment où on fume une cigarette, on a des effets nocifs. »
Le cannabis affecte particulièrement les cerveaux en formation, en particulier ceux des jeunes, et peut générer des troubles de la mémorisation. « Plus vous consommez du cannabis tôt et plus cela génère des troubles de la mémoire », avertit Jean-Claude Alvarez.
Il précise que le cannabis peut aussi avoir des effets cardiaques sur les consommateurs et qu’il représente la troisième cause d’infarctus en France. Le chef de service se base sur les travaux du dernier congrès de la société européenne de cardiologie (avril 2021). Le risque de décès lié à la consommation de cannabis est 4,5 fois plus élevé chez les individus ayant déjà des troubles cardiaques (comme des palpitations).
La consommation de cannabis peut également être associée à des comportements à risque. Jean-Claude Alvarez explique que la conduite sous emprise du cannabis conduit à « un risque quasiment deux fois plus élevé d’avoir un accident mortel » et que « le cannabis reste très longtemps dans l’organisme ». D’après une étude menée par son service, les effets perdurent jusqu’à 13 heures après la consommation pour un usager occasionnel et 8 heures pour un usager chronique.
Quelle politique de santé publique faut-il mener ?
Un consensus émerge autour de la nécessité d’insister sur la prévention, en particulier auprès des plus jeunes qui sont à la fois les plus gros consommateurs de cannabis et les plus affectés par ce dernier. Michèle Victory affirme qu’« il faut dire que le cannabis est une drogue et être tout à fait prudent avec ». Jean-Claude Alvarez rejoint ce constat : « il faut faire des campagnes d’information et de sensibilisation des jeunes aux méfaits du cannabis ».
On n’entend plus parler que des bienfaits du cannabis, informons sur les méfaits du cannabis
Jean-Claude Alvarez, chef du service toxicologie du CHU de Garches.
Malgré le consensus, les avis divergent sur les politiques à mener auprès des usagers. Michèle Victory fait partie des défenseurs d’une légalisation du cannabis à usage récréatif « pour essayer de mettre en place un système plus vertueux ». Partant du principe que « ce que l’on fait ne fonctionne pas », elle déclare qu’« il faut bien trouver d’autres solutions ».
Prenant l’exemple d’autres pays, Michèle Victory assure que « la légalisation de la consommation de cannabis a rarement eu pour conséquence une explosion de la consommation ». Cette légalisation passerait en premier lieu par une « période d’adaptation » qui se traduirait par « un travail d’information et de prévention » : « on ne peut pas légaliser sans avoir mis en place des politiques qui permettent d’éduquer, d’informer les usagers sur les produits consommés et ce dans quoi ils s’engagent ». Le travail législatif ne viendrait qu’après ce travail préventif.
L’argument principal derrière l’idée d’une légalisation du cannabis est d’agir favorablement sur la santé publique. Michèle Victory indique que « l’idée est de contrôler toute la chaîne » de production afin d’arriver à des produits moins toxiques, ayant notamment une concentration en THC inférieure à ce qui circule actuellement sur le marché noir. Pour Michèle Victory, cela représente « probablement une meilleure solution » que les politiques actuellement menées.
Il vaut mieux que ceux qui fument du cannabis le fassent d’une façon plus sécurisée, sans risque de surcharge en THC
Michèle Victory, députée socialiste de l’Ardèche.
D’autres, comme Jean-Claude Alvarez, sont partisans d’un renforcement de la répression et craignent les effets d’une légalisation sur la perception du cannabis : « Si on légalise, on fait passer un message fort aux jeunes. Je préfère toujours qu’on considère que c’est une drogue dangereuse et qu’on continue à ne pas la rendre accessible ». Il affirme que le marché parallèle continuera à exister même si le cannabis est légalisé, à la fois pour satisfaire les mineurs, ainsi que les consommateurs ayant développé une accoutumance à des doses de THC élevées.
Le cannabis, une potentielle manne économique pour l’Etat
Les tenants d’une légalisation du cannabis à usage récréatif soutiennent que cela réduirait les revenus des réseaux de narcotrafiquants, tout en augmentant ceux de l’État. Jean-Claude Alvarez refuse de considérer ces arguments, déclarant que « ce n’est pas une politique de santé publique de faire de l’argent sur une drogue ».
Tout en insistant sur le fait que « l’aspect économique ne soit pas celui à mettre le plus en avant » et que la priorité de l’État doit demeurer la santé publique, Michèle Victory affirme qu’une légalisation « permettrait de récupérer un certain pourcentage du marché noir ». Elle précise qu’il serait possible de développer une filière en coopération avec les agriculteurs : « beaucoup d’agriculteurs veulent le faire, il y a tout à fait les moyens de maîtriser la filière et de faire pousser des produits de bonne qualité ».
Le débat sur la légalisation du cannabis reste ouvert.