Le 9 novembre, la COP 26 battait son plein à Glasgow. Devant son pupitre, les pieds dans l’eau, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, avait voulu alerter la communauté internationale sur l’avenir de son pays qui pourrait être entièrement submergé d’ici à la fin de notre siècle. Les neuf atolls – un groupement d’îles de faibles altitudes constitué de coraux – qui composent l’archipel de Tuvalu s’étendent sur 26 km². Un petit territoire où vivent 12 000 personnes en première ligne du changement climatique.
Le ministre des Affaires étrangères s’inquiète des phénomènes météorologiques qui s’intensifient ces dernières décennies : « Nous avons connu des événements climatiques extrêmes. La sécheresse et les cyclones tropicaux sont beaucoup plus forts, confie-t-il à WorldZine. Nous subissons également les effets de l’augmentation de la salinité de nos terres, ce qui rend très difficile la culture. » Ces changements ont poussé le gouvernement à importer des marchandises de l’étranger pour subvenir aux besoins de sa population.
« Nous serons submergés d’ici à 50 à 200 ans »
Victimes du réchauffement climatique, les Tuvaluans sont forcés de s’adapter pour continuer à vivre sur la terre de leurs ancêtres. Le redoublement des marées et des cyclones qui s’abattent sur le petit archipel fragilise un peu plus l’équilibre des hommes et des femmes qui luttent face à un océan de plus en plus menaçant. Au cours de ses nombreux voyages à Tuvalu, Gilliane Le Gallic, présidente de l’association Alofa Tuvalu et coréalisatrice du documentaire Nuages au paradis (2004), témoigne de l’impact des grandes marées qui submergent les côtes tuvaluanes. Lors d’un voyage en 2006, elle a vu des habitants qui « utilisaient des petits bateaux pneumatiques pour se déplacer. Les mômes jouaient au football dans la flotte. »
D’autres États comme les Maldives et Kiribati subissent de plein fouet la menace de l’augmentation du niveau de la mer. Alexandre Magnan, chercheur à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI), explique que « l’océan se réchauffe parce qu’il absorbe la quasi-totalité de la chaleur qui s’accumule dans l’atmosphère. Il en absorbe près de 90 %. » Ce processus fait que les océans augmentent de volume. « Ces petites îles [comme Tuvalu] sont sensibles aux variations du niveau de la mer. Elles sont très dépendantes des coraux qui sont très sensibles à l’élévation du niveau de la mer et à l’acidification de la mer. », ajoute-t-il.
En août 2021, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soulignait la multiplication par trois du niveau des océans entre 1901 et 2018. Aujourd’hui la mer monte de 3,7 millimètres par an. Un chiffre qui pourrait paraître dérisoire, mais cette élévation minime au premier abord fait beaucoup de dégâts dans des archipels vulnérables comme Tuvalu, où le point le plus élevé culmine à quatre mètres. Le GIEC explique que cette augmentation serait deux à trois fois plus importante dans le Pacifique Sud. Les pires scénarios ne sont pas à exclure comme le rappelle ce rapport : une augmentation de deux mètres du niveau des océans d’ici à 2100 est envisageable. Un cri d’alarme que partage le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu : « Si vous regardez la trajectoire, nous nous dirigeons vers un réchauffement de 2,6 degrés, ou même plus, ce qui signifie que nous serons submergés d’ici à 50 à 200 ans. Nous devons nous préparer. »
Vers une reconnaissance internationale ?
Le spectre d’une disparition imminente parcourt les rues de Funafuti – capitale de Tuvalu – ainsi que les allées du cabinet ministériel de Vaiaku, situé dans l’atoll de Funafuti. Comment l’archipel pourra-t-il conserver sa souveraineté maritime si son territoire est submergé par l’océan ? Une question essentielle qui préoccupe les autorités. Pour prendre les devants, le gouvernement s’est lancé dans une bataille juridique et diplomatique afin de faire reconnaître son droit souverain sur ses terres et ses eaux. « Nous travaillons sur le pire scénario possible, déclare le ministre Simon Kofe. Nous cherchons des voies légales pour nous assurer que Tuvalu continue d’exister en tant qu’État selon les lois internationales. Nous continuerons également à maintenir nos revendications sur nos zones maritimes. »
Le 1er novembre, les premiers ministres de Tuvalu et Antigua-et-Barbuda – séparés par plus de 13 400 kilomètres – se sont alliés pour donner naissance à la Commission des petits États insulaires en développement sur le changement climatique et le droit international. En s’appuyant sur le Tribunal international du droit de la mer, ils espèrent faire reconnaître la responsabilité juridique des pays qui participent activement à l’augmentation du niveau des océans, ainsi qu’à la pollution marine. Cette institution internationale est mandatée pour trancher sur les conflits liés au droit de la mer. Créée à la suite de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer en 1982, elle dispose d’un pouvoir limité, car certains pays comme les États-Unis n’ont pas ratifié l’accord de Montego Bay, ou d’autres ne prennent pas en compte les arrêtés de la justice internationale, l’exemple de la Chine en est le plus probant avec ses revendications maritimes en mer de Chine méridionale.
Malgré la difficulté diplomatique qui se dresse face à lui, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu insiste sur l’implication des « pays qui contribuent à la crise climatique [qui] doivent être tenus pour responsables en accordant des financements en faveur des pays vulnérables et affectés par le changement climatique. » La bataille juridique s’annonce abrupte pour ces États insulaires. Mais le temps presse et la nature n’attend pas. Bien que Kiribati ait décidé d’acheter des terres aux Fidji pour anticiper une possible migration de sa population, Tuvalu se refuse à privilégier cette option. Le gouvernement compte sur le soutien des pays pollueurs pour enrayer la catastrophe qui se profile.
« Je ne suis pas plus pessimiste sur Tuvalu que sur le reste de la planète »
La situation de Tuvalu n’est pas un problème qui se cantonne aux pays du Sud bien au contraire. Les pays du Nord sont déjà impactés par le changement climatique et aussi contraints de se mobiliser pour préserver leurs littoraux. « Je ne suis pas plus pessimiste sur Tuvalu que sur le reste de la planète », s’attriste la réalisatrice Gilliane Le Gallic.
Selon Alexandre Magnan, la hausse du niveau de la mer ne concerne pas seulement les archipels, car des pays comme la France ou les États-Unis pourraient connaître des problèmes similaires dans le futur. « Tous les littoraux bas de la planète sont concernés par les mêmes problèmes », explique-t-il. Environ 20 % de la population mondiale vit à moins de 30 kilomètres des côtes, soit autant de personnes qui pourrait être impactée dans les décennies à venir par la montée du niveau de la mer.
La récente COP 26 organisée en Écosse a mis en lumière les luttes diplomatiques à l’échelle internationale sur la responsabilité de chaque pays. Le chercheur de l’IDDRI se veut quant à lui plus prudent sur l’avenir des pays insulaires tels que Tuvalu. « On ne peut rien affirmer sur la disparition de ces îles à l’horizon de ce siècle. » Mais il maintient que le danger est réel pour les États insulaires et le reste de la planète si rien n’est fait pour limiter le changement climatique.
Face à l’urgence, les dirigeants de Tuvalu se mobilisent pour alerter la communauté internationale sur la menace pesant sur leur pays. Une menace qui continuera de s’étendre à l’échelle du globe si rien n’est fait pour atténuer un réchauffement climatique qui transforme la mer en loup pour l’humain.